Marin de métier, pilote de fortune
Le livre du commandant Jubelin est un livre de souvenirs de guerre, basé sur ses notes prises au jour le jour. Il émerge cependant de l’abondante littérature de ce genre car c’est plus qu’un témoignage, c’est un document humain d’où se dégage la peinture d’un caractère magnifique. Le commandant Jubelin communique son intensité de vie à tout ce qu’il aborde et, écrivain neuf, nous donne un récit qui se lit d’un trait comme le plus passionnant roman.
Il se trouvait en Indochine au moment de l’armistice de 1940. Un tempérament comme le sien ne pouvait demeurer loin du combat. Pour le rallier il accomplit tout de suite un exploit héroïque : le franchissement du golfe de Siam, 1 100 kilomètres de mer, à bord d’un petit appareil de club, dans les réservoirs duquel il faut verser de l’essence en plein vol. Aussitôt il part pour Londres. Dans les bureaux de l’Amirauté française il voit des spectacles et entend des paroles qui auraient pu doucher son enthousiasme. Mais ce qu’il est venu chercher, lui, c’est le combat, et il va être comblé. Envoyé à bord du vieux cuirassé Courbet mouillé à Portsmouth, il fait d’un équipage, disons pour le moins hétéroclite, un équipage de héros, vérifiant une fois de plus la vieille formule : « Les Français sont ce que sont leurs chefs. » Comblé d’éloges pour son comportement dans les grands bombardements de mars 1941, le « pilote de fortune » Jubelin passe dans la RAF où sa valeur lui fait accorder la suprême consécration de devenir pilote de chasse de nuit dans l’escadrille du grand as MacLachlan. C’est alors un chapitre exceptionnellement coloré, d’une vie intense et d’une émotion parfois profonde qui donnent une force et un charme extraordinaires au récit.
Le « marin de métier » reprend la mer comme commandant de l’aviso Savorgnan de Brazza. Nous revivons les longues escortes de convois, dont la monotonie était rompue par quelque soudaine alerte contre sous-marin ou contre avions, et où l’aviso français, grâce au flair de son commandant, sut abattre un Focke-Wulf considéré par tous les Britanniques présents comme un de leurs appareils. Les marins ne liront pas sans émotion tels épisodes qui se déroulent dans l’océan Indien et le récit du cyclone où le Triomphant faillit périr.
C’est le commandement de ce même Triomphant que Jubelin reçoit en avril 1945, après un passage au cabinet du secrétaire d’État à la Marine. Il est le premier à revenir à Saïgon d’où il s’était si magnifiquement envolé près de cinq ans auparavant. C’est le Triomphant qui conduit à Haïphong les troupes qui vont réoccuper le Tonkin. Et c’est alors l’extraordinaire épisode : les Chinois ouvrant le feu, les pertes et les avaries se multipliant à bord du contre-torpilleur, et le commandant, les subissant, impassible sur sa passerelle, pour obéir aux ordres reçus. C’est encore sur un exploit héroïque que se termine le livre, comme il s’était ouvert.
Il s’en dégage l’image d’un chef, d’un conducteur d’hommes admirable, d’un pilote et d’un marin de grande valeur, mais aussi celle d’un homme aux résonances profondes, au cœur vibrant qui commande et force la sympathie en même temps que l’admiration. Le commandant Jubelin, dit-il, a écrit ce livre pour son fils. Nulle part celui-ci ne pourra mieux apprendre à devenir ce que son père a été : un « homme », comme l’eût désiré Kipling. ♦