Entre la Wehrmacht et Hitler
L’apparente dissociation entre l’armée allemande et le pouvoir politique, engendrée par l’instauration de la dictature hitlérienne, soulève après la guerre des controverses justifiées. Depuis la naissance de la Prusse et jusqu’à la défaite allemande de 1918, ces deux piliers de la grandeur germanique n’avaient pas eu de questions de prééminence à débattre. Le rôle politique de l’armée allait de soi ; la guerre ou la paix se décidait sur les avis des chefs militaires.
Après 1918, l’armée s’isole dans le cadre suspect de la République weimarienne. Mais, entre 1926 et 1933, quelques chefs, en coquetterie avec le pouvoir, cèdent à des ambitions personnelles et s’évadent des voies traditionnelles du grand État-major : Gröner, Schleicher, Blomberg. Hitler, porté au sommet par le vœu de la masse, ménage un temps l’orgueilleux temple. Mais en novembre 1937, en présence de Blomberg et de Fritsch, il annonce brusquement une politique de guerre à buts immédiats. Fritsch et Beck osent dire non. Ils sont successivement écartés. L’armée inquiète, non inféodée au Parti, mais loyale, abdique toute influence sur les décisions de guerre. Elle s’incline. L’Anschluss et l’affaire tchécoslovaque, deux succès sans frais, déterminent les chefs à suivre Hitler jusqu’à l’ultime catastrophe.
Tel est, en raccourci, le récit du colonel Hossbach, qui a vécu de 1934 à 1938 dans l’intimité de Hitler et des principaux chefs de l’armée. Cet ouvrage objectif, grave et fortement charpenté, lève bien des coins d’ombre. Il nous confirme que l’État-major allemand, débordé par le cyclone hitlérien, est resté sans prise sur le pays. Mais si les généraux se sont tus, dit-il, c’est que l’Allemagne populaire adoptait Hitler et que « rien ne leur prouvait qu’il fallait empêcher le développement du régime ». Explication lourde de sens, car les généraux partagent, dès lors, la responsabilité de la guerre et de la catastrophe allemande. Un mot d’ordre fatal : « Hitler c’est l’Allemagne, et l’Allemagne c’est Hitler » a emporté les hésitants. Est-il aujourd’hui définitivement rejeté ? « La défaite est venue, dit encore Hossbach, de l’abandon des principes sains qui doivent régler les rapports entre la direction politique et le commandement militaire. » Ceux qui ont observé l’étroite identité de ces deux facteurs au cours du long effort allemand vers la suprématie européenne, n’envisageront pas sans inquiétude une nouvelle restauration allemande. Ce livre est à lire et à méditer. ♦