La défaite allemande à l’Est
La gigantesque lutte qui s’est déroulée pendant quatre ans sur le front allemand de l’Est ne pouvait manquer, par le rôle décisif qu’elle a joué dans l’issue de la guerre, de retenir l’attention passionnée du monde contemporain. Après maints auteurs tels que, chez nous, Raymond Cartier, le général Guillaume et le colonel de Cossé-Brissac, le colonel Léderrey, de l’armée suisse, en fait, à son tour, un tableau saisissant, sous une forme didactique, ramassée et claire. Partant des désaccords fondamentaux et des calculs sournois qui préludaient à un inévitable conflit entre les deux plus puissants groupements humains d’Europe, il confronte tout d’abord les forces : celle du Reich de juin 1941 est à son apogée, colle des Russes en retard mais en énorme devenir, étagée dans le temps et sur une profondeur géographique sans limite, l’« immensité russe » s’ouvre pour un duel obscur et sans merci.
L’analyse des opérations, conduite sous une forme classique, fait bien saisir le déroulement du drame. Le recul russe du début résulte d’une attaque allemande supérieurement préparée, et d’une tactique déconcertante appliquée par des cadres de haute qualité. Elle a bénéficié du retard dans l’acte défensif – peut-être offensif – médité par Staline en face de l’expansion hitlérienne, de l’inexpérience et d’un certain degré d’impréparation du côté russe. L’arrêt allemand au seuil de Moscou et de l’hiver est la conséquence d’un plan, imposé par Hitler à ses généraux, qui a négligé initialement l’objectif principal, Moscou, et d’un calcul erroné qui a spéculé sur l’effondrement de la puissance soviétique avant l’intervention de la neige et des froids. Dès les premiers jours de décembre 1941, l’ordre de repli des troupes allemandes avancées annonçait la faillite du plan Barberousse.
L’hiver 1941-1942 fige l’armée allemande au sol. Elle renouvellera son effort au printemps, elle atteindra même les confins nord et sud de la Russie, menaçant d’étouffer celle-ci. Mais les Russes contiennent l’étreinte, sont vainqueurs à Stalingrad et entament cette succession d’offensives qui, à travers les années 1943-1944, libèrent peu à peu le territoire national et finissent par sonner le glas du Reich sur son propre sol. Dans son obstination aveugle, Hitler a constamment méconnu le nombre, les ressources grandissantes, les qualités manœuvrières et la ténacité de l’armée russe. Il s’est fait l’artisan de la défaite finale par son impéritie et par le désordre de ses décisions. Une farouche volonté de vaincre a animé jusqu’à la barbarie des procédés les combattants des deux camps. Il demeure que la Russie, aidée matériellement par les Alliés, a joué le rôle principal dans l’écrasement de l’Allemagne, et qu’à l’Est s’est consumée la substance vitale de celle-ci. Tant il est vrai que l’énigme russe réside dans l’« immensité russe », dont les proportions sont désormais mesurables. ♦