Le général Soukhomlinov
Les désastres de la Russie en 1914 ont eu des causes multiples : corruption de certains milieux administratifs, manque de fermeté du Tsar, favoritisme et intrigues de cour, influences antinationales et révolutionnaires ; il y a donc eu beaucoup de responsables. Un des principaux fut le général Soukhomlinow, ministre de la guerre de 1909 à 1916.
Intrigant, il avait su plaire au Tsar. Peu sincère, égoïste, entouré de flatteurs et de gens de moralité douteuse, il s’était assuré la plénitude des pouvoirs grâce à la suppression du Conseil de la Défense nationale. Paresseux, il abandonnait les affaires à ses subordonnés dont il ne coordonnait pas les travaux. Marié à une femme beaucoup plus jeune que lui, il lui consacrait plus de temps qu’à son service. Irréfléchi, il avait réduit les garnisons de Pologne et préconisait d’agir plutôt contre l’Autriche que contre l’Allemagne. Il avait laissé son chef d’État-major général déclarer au nôtre que l’armée russe pourrait passer à l’offensive le seizième jour sur le front allemand alors qu’à ce moment il ne devait y avoir que quarante divisions sur pied de guerre et que l’offensive générale ne pouvait réellement être prise que le trentième jour. Il n’avait nullement préparé la mobilisation industrielle. De 1909 à 1914, sur 495 millions de roubles accordés pour les achats de matériels de guerre et les chemins de fer stratégiques, il n’en avait été réellement dépensé que 207. Dès 1912, le Premier ministre Kokovtsev l’avait signalé au Tsar mais celui-ci n’en avait pas tenu compte.
Les espionnages allemand, autrichien et russe luttaient ardemment, et, dans les trois empires, des officiers et fonctionnaires étaient devenus agents de l’ennemi. Un de ceux-ci, le lieutenant-colonel Miasoiédov, chef de la police des chemins de fer à la frontière de Prusse, avait su se créer des deux côtés de nombreuses relations. Mis à la retraite après avoir refusé un poste en Russie centrale, il entra en relation avec certains personnages douteux de l’entourage de Soukhomlinow et celui-ci lui confia diverses missions secrètes. Au début de la guerre en 1914, ayant repris du service, Miasoiédov fut affecté par lui à un État-major d’armée où la surveillance exercée sur lui le fit arrêter en février 1915. Passé en jugement il fut condamné à mort avec cinq de ses complices, neuf autres le furent aux travaux forcés.
Une fois la guerre commencée, Soukhomlinow, jaloux du grand-duc Nicolas dont il avait ambitionné le poste de généralissime, ne fit rien pour lui venir en aide. Bien que la réserve de fusils fût insuffisante, il refusa d’en commander à l’étranger. Alors que les munitions risquaient de manquer sur le front allemand, les plus importants envois étaient faits au Caucase et au Turkestan. L’inquiétude causée par le manque de munitions motiva en juillet 1915 la création d’une commission d’enquête. Les relations du ministre avec Miasoiédov et d’autres personnes convaincues d’espionnage ou de corruption de fonctionnaires furent signalées à cette commission. Soukhomlinow dut donner sa démission. À la fin de février 1916 la commission concluait à des poursuites. Il fut mis en détention préventive puis condamné à la prison. Toutefois, à la suite d’intrigues auprès de la Tsarine par l’intermédiaire de Raspoutine, un ordre du Tsar remplaça la détention par les arrêts à domicile. Après la chute de la monarchie, Soukhomlinow et sa femme furent de nouveau traduits en justice. L’acte d’accusation signalait que sa fortune était passée de 50 000 roubles en 1909 à 702 737 roubles en 1915. Le 12 septembre, reconnu coupable d’abus de pouvoir et de manque d’activité, mais non de complicité avec l’ennemi, il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité ; sa femme fut acquittée. Il fut cependant libéré en novembre 1917 ; il est mort à Berlin en 1926 après s’être montré partisan d’une collaboration russo-allemande.