Six ans de guerre navale
Edmond Delage, rédacteur en chef de cette Revue, vient d’ajouter un livre à ceux qui connurent jadis tant de succès, notamment le Drame du Jutland, la Tragédie des Dardanelles, la Guerre sous les mers. Avec le grand talent qu’on lui connaît et la compétence qui ont fait sa réputation d’écrivain maritime, il nous donne un récit saisissant, vivant, parfois pathétique, de ces événements qui, au long de six années de guerre navale, tinrent le monde en haleine en une succession de coups de théâtre aux changeantes fortunes.
Le fait capital – Edmond Delage le met parfaitement en lumière – ce qui empêcha le deuxième conflit mondial de ressembler aux précédents, surtout sur mer, ce fut l’apparition de l’avion. Il manifesta pour la première fois sa puissance au cours de la campagne de Norvège et tint, par la suite, un rôle si important sur tous les théâtres d’opérations qu’on ne peut plus proprement parler d’une guerre navale, mais d’une guerre aéro-navale. Très justement l’auteur étudie séparément chacun de ces théâtres.
Tout d’abord, en Méditerranée, ce fut l’exploit de Tarente, où les avions de l’Illustrious écrasèrent les cuirassés italiens que trop d’insuffisances techniques empêchaient de tenir le rôle que leur nombre et leur force paraissaient leur assigner. Désormais ils ne se hasardèrent plus, hors de leurs ports, que rarement et souvent malheureusement, comme en cette opération de Gavdo-Matapan où les appareils britanniques, en torpillant le Vittorio Veneto d’abord, le Pola ensuite, permirent à la flotte de l’amiral Cunningham de détruire toute une escadre de croiseurs italiens. Mais l’équilibre se renversa lorsque Hitler détacha en Sicile le Xe Corps aérien. Malte souffrit un long martyre et bien des navires de guerre et de commerce succombèrent dans les tentatives faites pour ravitailler l’île. Ce sont, en effet, les escadrilles qui y étaient basées, aidées puissamment par les sous-marins, qui gagnèrent cette longue bataille des communications dont les conséquences directes furent l’échec de Rommel devant El Alamein, et, finalement, le « second Stalingrad » de la presqu’île du Cap Bon. Ce fut surtout d’asphyxie que moururent les forces italo-allemandes. L’Air gagna la bataille de Méditerranée.
Il gagna aussi la bataille de l’Atlantique, la plus sauvage, la plus désespérée de toutes celles qu’eut jamais à livrer l’Angleterre. C’est l’avion qui musela finalement la terrible menace des U-Boots, dès qu’il eut reçu des armes suffisamment meurtrières et des appareils de détection efficaces, en dressant au large des côtes de France une barrière presque infranchissable. Ce fut le porte-avions d’escorte qui assura la sécurité des immenses convois sur les routes océanes, en décelant les sous-marins, et surtout en chassant les Focke-Wulf qui lançaient les « meutes » à la curée. Finalement, quand Dœnitz crut renverser la situation par l’intervention de ses « sous-marins électriques », ce furent les bombardements aériens qui empêchèrent l’arme nouvelle d’entrer à temps en action.
Mais c’est surtout dans le Pacifique que la guerre aéro-navale prit sa véritable forme, d’abord, parce que les Japonais s’y étaient minutieusement préparés, puis, parce que les Américains la portèrent à sa perfection. Après les coups de tonnerre de Pearl Harbor et de Kuantan qui semblèrent donner, d’un seul coup, la maîtrise aéro-navale au Japon, les batailles de la mer de Corail et de Midway, en détruisant une grande partie des porte-avions nippons, rétablirent momentanément l’équilibre. La longue lutte autour de Guadalcanal usa les forces aériennes japonaises. Puis ce fut l’apparition des fameuses taskforces américaines. Elles traversèrent irrésistiblement le Grand Océan, broyant tout ce qu’elles trouvaient sur leur passage. La bataille de Leyte, la plus grande de tous les temps, fut surtout une victoire des avions américains : ce sont eux, et eux seuls, qui écrasèrent l’escadre de Kurita, fer de lance de l’attaque nippone.
Nous n’avions pas jusqu’ici de récit complet de ces grands événements. Il n’a pu être écrit que grâce à la documentation étrangère publiée depuis la guerre. On trouvera donc dans ce livre, des « explications » telles que celle de plusieurs batailles du Pacifique où le succès des Américains fut bien souvent dû aux magies, c’est-à-dire au déchiffrement des télégrammes nippons. Le style est vivant, souvent passionnant. Les faits ont été puisés aux meilleures sources. Un seul reproche : le titre du livre eût dû être : Six ans de guerre aéro-navale. Car, et c’est justement la conclusion essentielle que formule Edmond Delage, la puissance aérienne est désormais inséparable de la puissance maritime. Mentionnons, enfin, le caractère pratique de l’ouvrage. Il contient des croquis très clairs, une bibliographie déjà abondante, un index de tous les noms propres, et une chronologie synoptique, qui rendra de grands services à tous ceux qui voudront s’initier à l’histoire de la dernière guerre.