Le pétrole, roi du monde
Le livre du commandant Jouan tient plus qu’il ne promet. Sous les dehors d’un ouvrage de vulgarisation et qui ne viserait qu’à résumer tout ce qu’il importe à l’homme cultivé de connaître sur le pétrole, il est si dense dans sa brièveté, à ce point bourré de renseignements et de chiffres puisés dans les périodiques ou les traités spéciaux les plus récents, il réussit si exactement à doser la technique, l’économie et la politique comme à en mesurer l’interdépendance constante que non seulement l’historien et le géographe, mais les hommes d’action, publics ou privés, trouveront matière à méditation dans ces quelque deux cents pages.
Tous les aspects, passés et présents, du problème pétrolier y sont évoqués : l’origine des hydrocarbures et la répartition de leurs gisements à travers le monde avec l’estimation des réserves prouvées ou probables, les procédés de localisation et d’extraction, l’industrie du raffinage en général et, dans chacun des principaux pays intéressés, le transport terrestre ou maritime des « bruts » et des raffinés, l’âpreté de la fameuse « guerre secrète du pétrole » dont on ne se souvient plus assez, qu’avant de devenir internationale, elle fut intérieure aux États-Unis et opposa violemment Rockefeller à ses rivaux américains puis aux pouvoirs publics.
Le chapitre le plus neuf, composé à l’aide d’une documentation difficilement accessible à la majorité des lecteurs français, traite du pétrole pendant la Seconde Guerre mondiale, des efforts gigantesques et véritablement épiques accomplis par l’Amérique pour satisfaire les besoins démesurés de la consommation militaire, en forant de nouveaux puits, en développant jusqu’à la limite de leurs capacités les transports par voie ferrée et par route, en entreprenant du Texas à New-York la construction d’immenses pipelines (le Big Inch et le Little Big Inch) pour soulager la flotte pétrolière côtière assaillie et un moment décimée par les sous-marins de Dœnitz, enfin en multipliant les usines sur le sol national, au Venezuela, dans le Moyen-Orient, etc. Le pouvoir de production des raffineries américaines passa, entre 1941 et 1945, de 550 000 tonnes par jour à 715 000, celui de l’essence à indice cent d’octane de 5 700 à 74 000. Ces pages, d’un puissant intérêt, se lisent tout d’une haleine.
Faut-il regretter que des manifestations moins spectaculaires du rôle joué dans le monde par les combustibles liquides leur aient été un peu sacrifiées, par exemple la production des carburants de synthèse en Allemagne avant 1945 ou la politique française de raffinage des bruts importés et de prospection dans l’Union ? Sans doute ces manifestations ne méritaient pas un développement aussi long, mais peut-être en auraient-elles justifié un moins bref que celui qui leur a été accordé.