Albert 1er, Léopold III
Conseiller militaire d’Albert Ier et de Léopold III, le général van Overstraeten ne fut pas seulement, de 1920 à 1940, le témoin averti des événements qui intéressèrent la Belgique, mais, par ses conseils et ses initiatives, il exerça, dans l’orientation de la politique militaire de son pays, une influence qui, sous le règne de Léopold III, se révéla prépondérante. Son Journal de paix et de guerre offre au lecteur des témoignages abondants, précis et objectifs, susceptibles d’asseoir et d’étayer son jugement personnel. C’est, au premier chef, un document d’histoire.
Le retour à la neutralité, malgré l’amère désillusion de 1914, et en dépit des obligations imposées par le Covenant et par Locarno, ne cessa d’inspirer la politique belge entre les deux guerres. Les premiers obstacles auxquels se heurta Albert Ier furent l’accord franco-belge du 7 septembre 1920 et les ententes d’État-major qui en constituaient le corollaire. Albert Ier partageait, au sujet de cet accord, l’hostilité des milieux flamingants. « Son plus bel effet, disait-il, est d’entretenir la haine et l’esprit de revanche. L’obstination de la France à en faire état résulte du besoin d’affirmer une supériorité continentale, dont elle s’enorgueillit, mais qu’elle sait éphémère ».
Léopold III précipita l’évolution de la politique belge vers la neutralité. Après 1936, la Belgique « garantie mais non garante », ne compta désormais que sur elle-même pour « éviter ou déjouer » l’attaque brusquée.
Dès avant 1936, le général van Overstracten avait pourtant, au cours de conférences, décrit, avec une prescience lumineuse, le caractère que revêtirait le prochain conflit. Il exprimait la conviction que l’action combinée de l’aviation, des chars et des motorisés permettrait à l’assaillant de réaliser, par surprise, des actions de rupture fulgurantes suivies d’exploitations profondes.
En novembre 1934, ne prévoyait-il pas que l’offensive allemande serait orientée par Roërmond sur Bruxelles ? Dans ces conditions, le concours des alliés ne pouvait être efficace que s’il était préventif.
Pour transformer en actes ses conceptions prophétiques, le général van Overstraeten disposait d’une autorité incontestée. Par décision du Roi et du ministre de la Guerre du 28 mars 1939 : « toutes suggestions et instructions concernant la préparation et la conduite de la défense » entraient dans ses attributions. « Au conseiller appartenait la conception, au Roi la décision, au chef d’État-major l’exécution. »
Comment un esprit aussi éclairé, jouissant d’un si large crédit, a-t-il pu se faire le défenseur d’un isolement militaire, qui forçait le commandement allié à improviser la réunion de ses moyens dans le désordre d’une bataille de rencontre ?
Il semble que la tragique leçon ait enfin porté ses fruits, puisque l’homme politique qui, jusqu’au 10 mai 1940, préconisa avec le conseiller militaire du Roi la neutralité, quand même, est aujourd’hui l’apôtre non moins passionné et éloquent de la solidarité européenne.