La guerre aéronavale du Pacifique (1941-1945)
La guerre aéronavale en Méditerranée (1939-1945)
Eussent-ils été de simples compilations, les deux ouvrages de l’amiral de Belot ne s’en recommanderaient pas moins à nous comme de précieux instruments de travail. Car leur auteur n’a pas fait appel seulement à une immense documentation française, livres, revues, archives dans la mesure où celles-ci sont accessibles. Il a dépouillé aussi d’innombrables sources d’information étrangères, anglaises, américaines, allemandes, japonaises et italiennes, pour la plupart mal connues ou inutilisées jusqu’ici chez nous, et dont beaucoup, tels les interrogatoires des officiers de marine japonais ou les livres des amiraux Weichold, Iachino, Maugeri et des généraux Carboni, Armellini, etc., pour nous en tenir à l’ennemi, ont la valeur de pièces originales. Sauf exceptions, la conduite de la guerre navale par l’Axe nous apparaît désormais dans une lumière presque aussi vive que celle des Alliés.
Mais ces deux volumes retiennent davantage encore l’attention du lecteur par les remarquables qualités d’historien qui s’y révèlent : un sens aiguisé de la complexité du second conflit mondial, où la part qu’il se doit est toujours faite avec exactitude à la politique, intérieure ou extérieure, comme à la stratégie et à la tactique, à l’économie industrielle des belligérants comme à la psychologie individuelle et collective, aux qualités et aux faiblesses des hommes comme à celles du matériel. Un jugement très sûr aussi et pondéré, qui clarifie sans déformer, qui pèse les responsabilités avec mesure et objectivité, qui laisse loyalement subsister quand il le faut les points d’interrogation.
Certes, la tâche de l’amiral de Belot était relativement aisée quand il a exposé l’évolution de la guerre aéronavale dans le Pacifique ; on s’y est battu, somme toute, presque exclusivement entre Japonais et Américains ; et l’un et l’autre adversaires savaient, ou ont su très vite ce qu’ils voulaient. Pas de coalitions, avec tous les aléas qu’elles comportent, peu ou point de concurrence entre les objectifs stratégiques terrestres et les maritimes. Les opérations se sont déroulées avec la logique d’un mécanisme. Bien des problèmes, cependant, dont les données nous manquaient en partie, ont été excellemment résolus par l’amiral de Belot. Citons, entre autres, la fausse estimation par le Japon de ses propres forces et de celles de son ennemi, des potentiels de guerre surtout (elle commanda la défaite), – la malencontreuse extension au printemps de 1942 du périmètre de la conquête, qui allait allonger démesurément les lignes de communication, – les erreurs stratégiques commises dans les campagnes de la mer de Corail et de Midway, quand les moyens restaient ceux qui avaient permis Pearl-Harbour et que l’adversaire avait encore à peine eu le temps de renforcer les siens, – l’insuffisance de la marine marchande et de la protection anti-sous-marine, doublée par la carence du sous-marin dans l’offensive contre la navigation alliée, – le conflit entre les partisans clairvoyants de la paix et ceux de la guerre à outrance, – le rôle joué par le blocus économique dans une capitulation qu’on a trop exclusivement attribuée aux bombardements aériens. Le livre s’achève par des considérations magistrales sur l’adaptation de la stratégie et des matériels aux conditions géographiques du théâtre de la guerre.
Beaucoup plus complexes et difficiles à apprécier avec rectitude ont été les opérations aéronavales en Méditerranée : de part et d’autre, des alliances, avec des divergences inévitables dans les vues et dans les intérêts. Et la conquête de la terre (l’URSS, Suez) y exerçait, aux dépens de la mer, un puissant attrait. Aussi le récit des événements déborde-t-il à chaque instant le cadre restreint d’une guerre aéronavale dans une mer étroite, pour des échappées critiques sur la conduite générale des hostilités, sur les relations germano-italiennes et anglo-américaines, sur les conflits de doctrines ou d’ambitions entre les armes comme entre les hommes qui les représentaient (OKW et Kriegsmarine, Comando Supremo, Supermarina et Superaero). On ne saurait assez louer l’amiral de Belot de la modération intelligente avec laquelle il pèse le pour et le contre dans chacun de ces débats délicats, comme aussi de la sereine impartialité avec laquelle il redresse certaines erreurs trop communément admises. Tel l’ascendant que la flotte britannique aurait exercé sans désemparer sur son adversaire (au début de 1942 elle était à peu près vaincue). Telle la faute prétendue capitale que l’Axe aurait commise en n’envahissant pas Malte à l’été de 1942 (ce n’est pas alors qu’il perdit ses chances de dominer la Méditerranée ; c’est en 1940 en n’exécutant pas le plan Félix contre Gibraltar ; c’est de nouveau, en 1941, quand Hitler lança la Wehrmacht contre l’URSS). Telle enfin la légende de la médiocrité des équipages italiens (mal conduits par un Comando Supremo et une Supermarina trop prudents, ils firent personnellement preuve d’une magnifique combativité…). En bref, nous devons à l’amiral de Belot deux excellents manuels de la guerre aéronavale entre 1939 et 1945. Si, pour ne rien dire de quelques tâches minimes – inévitables dans une œuvre de cette ampleur –, ils appellent une critique, c’est assez paradoxalement par l’effet d’un propos délibéré de leur auteur qui, en mettant volontairement l’accent sur l’action de l’Axe et du Japon (parce que moins connue que celle des Alliés), n’a pas toujours réservé à cette dernière (cf. La tactique américaine dans la seconde bataille des Philippines) les développements qu’elle aurait mérités.