Nos lecteurs savent, par ses articles précédents, que cet officier – aujourd'hui en retraite – s'est toujours intéressé aux problèmes de stratégie et d'emploi des armes nucléaires. Ses idées sont assez voisines de celles de certains atomistes américains du Centre de recherches de Los Alamos, soucieux de doter leur pays d'une « War Fighting Capacity » (la capacité de mener effectivement une guerre, qu'elle soit classique ou nucléaire). Il partage en effet avec eux l'insatisfaction de voir la défense reposer uniquement sur une dissuasion par le spectre de représailles anti-cités, plutôt que sur une capacité de défense effective mettant en jeu la puissance écrasante de l'atome sur le champ de bataille.
En ce qui concerne notre pays, l'auteur estime que sa défense pourrait être assurée si nous développions considérablement nos forces nucléaires tactiques, en nous dotant d'armes à radiations renforcées. Étant alors en mesure d'opposer à l'agresseur un barrage de neutrons qui ne serait mortel que pour les forces assaillantes, blindées ou non, nous exercerions ainsi à l'égard de tout envahisseur potentiel une véritable dissuasion militaire. Cette thèse est fondamentalement hétérodoxe par rapport à la doctrine qui préside à la constitution de nos forces. On sait en effet que « nous refusons totalement l'éventualité d'une bataille classique ou nucléaire tactique prolongée » et « c'est pourquoi le nombre de nos armes nucléaires tactiques est et restera limité » (discours de M. Raymond Barre le 18 juin 1977 au Camp de Mailly, voir revue d'août-septembre 1977). En fait, l'emploi des armes nucléaires par notre corps de bataille vise seulement à infliger à l'adversaire, par un coup d'arrêt brutal et massif, « un ultime et solennel avertissement », dont nous ne prévoyons pas le renouvellement, puisque nous n'avons ni l'espace opérationnel ni les moyens pour l'envisager.
Par ailleurs, comme on le constatera en lisant cet article, son auteur propose en définitive de défendre notre hexagone par une sorte de « Ligne Maginot nucléaire » ou plutôt un « Verdun nucléaire ». Sans parler des réserves de principe que doit susciter tout retour à une conception statique et linéaire de la défense, la mise en place de ce barrage nucléaire, à supposer qu'il soit dans nos moyens et que son efficacité soit prouvée, poserait des problèmes politiques, psychologiques et moraux qui sont inextricables : par exemple, où situer ce barrage par rapport à notre frontière ? Comment le faire admettre aux populations se trouvant dans le champ de tir ? Qui contrôlera l'emploi de ces armes nucléaires tactiques, emploi qui doit impérativement rester limité et sélectif sous peine d'admettre d'emblée le risque de guerre nucléaire généralisée ? etc.
Il résulte de toutes ces considérations que la revue Défense Nationale ne fait sienne d'aucune façon la thèse de l'auteur et publiera prochainement une opinion différente. Nous avons pensé cependant qu'en suscitant la réflexion, elle méritait d'être rapportée pour être versée au dossier du débat ouvert depuis quelques mois dans la presse sur les problèmes de défense. Ce débat est la preuve, en effet que les Français s'intéressent à leur défense, et l'on peut espérer qu'il en sortira finalement une meilleure compréhension par l'opinion publique de ce que sont les vraies options auxquelles nous serons confrontés pendant la prochaine décennie pour rendre toujours plus efficace notre appareil de défense.
NDLR