Les Généraux allemands parlent…
« À la fin de la guerre, nous dit l’auteur dans sa préface, j’eus la chance de pouvoir, l’un des premiers, explorer “l’autre côté de la colline” au cours d’interrogatoires de prisonniers de guerre. Je fus amené à me trouver en relations suivies avec des généraux allemands. Dans mes nombreux entretiens avec eux, je parvins à recueillir leurs témoignages sur les événements de la guerre avant que leurs souvenirs s’estompent et se déforment. »
Très au courant des questions militaires, qu’il a étudiées dans plusieurs ouvrages, Liddell Hart pouvait poser des interrogations très précises à ses interlocuteurs. C’est un livre de stratégie autant que de psychologie qu’il nous donne. Il présente les généraux allemands dans leurs pensées et leurs actes, dans leurs tendances politiques, dans leurs accords et désaccords, dans leurs rapports avec Hitler. Nous avons par son récit une preuve de plus des complications de ce régime totalitaire qui, de loin, semblait organique et qui, à vrai dire, était très anarchique. Les généraux ne furent pas toujours disposés à écouter le caporal Hitler. Et quand ils n’osèrent plus lui résister, quand ils furent obligés de suivre toutes ses directives, ils eurent lieu de douter de la victoire de l’Allemagne. Grâce au livre de Liddell Hart, on assiste à bien des drames « de l’autre côté de la colline ».
En voici les acteurs, tous caractérisés en quelques traits rapides : von Blomberg, von Brauchitsch, Halder, Zeitzler, Guderian, Rommel, von Manstein, von Kluge, von Model, que Hitler place et déplace à sa fantaisie, von Runstedt, soldat de la vieille Garde, qu’on rappelle dans les cas extrêmes, von Manteuffel, jeune chef qui plaît au Führer par son audace.
En voici les principales péripéties : « L’avènement du blindé », car les généraux furent loin de s’entendre à ce sujet, avant que l’on fît grand usage du blindé sous la pression d’Hitler. – « Comment Hitler battit la France », suivant une stratégie qu’il imposa et qui réussit pleinement pour le malheur de la France, mais aussi pour le malheur de l’Allemagne, disaient les généraux allemands, car, de ce jour, le Führer ne douta plus de son intuition stratégique. – Les indécisions au sujet d’un débarquement en Angleterre, avec laquelle d’ailleurs Hitler espérait conclure rapidement la paix. – « La déconvenue de Moscou », les « déboires dans le Caucase », qui prouvent chez Hitler une méconnaissance singulière des forces de l’ennemi. – « L’impasse en Normandie », dans laquelle Hitler laissa ses divisions en leur interdisant de reculer pour se concentrer à l’intérieur de la France. – « La deuxième attaque dans les Ardennes », que von Runstedt semblait commander et qui, dirigée heure par heure par Hitler de son Quartier général, devait nécessairement finir par un fiasco.
Il est probable que les généraux qui parlèrent à Liddell Hart ont été très enclins à rejeter toutes les responsabilités sur leur ancien maître. Ils ne nient pas ce qu’il y avait de génial parfois dans ses conceptions, mais ils marquent bien que tous ses efforts, après quelques succès, ne pouvaient aboutir qu’à un désastre. C’est ce qui explique les complots formés contre Hitler par l’armée, et par l’armée seule, sans le concours de la population civile. Tous ces témoignages ont assurément besoin d’être complétés et contrôlés. Liddell Hart le dit lui-même. Mais on les lit avec un puissant intérêt.