Sedan, terre d’épreuve : avec la IIe Armée, mai-juin
Voilà certes un beau et bon livre, écrit d’une plume alerte mais posée par le général Edmond Ruby, de l’État-major de la IIe Armée, sur une des phases les plus dures de la guerre. La IIe Armée (général Huntziger) tenait la zone de Sedan, à sa droite la IIIe Armée (Condé) appuyait la ligne Maginot, à sa gauche la IXe Armée (Corap) formait la charnière entre la zone statique et les armées aventurées contre tout discernement en Belgique et en Hollande.
C’est sur la zone des IIe et IXe Armées que les blindés de Guderian, suivis des corps motorisés firent leur effort de rupture.
On a beaucoup épilogué sur le dispositif de la IIe Armée et la critique de ce qu’a fait le voisin est aisée surtout quand il est mort. Un peu de modestie siérait cependant à ceux qui n’ont eu que peu à faire. Le déploiement était logique eu égard aux ordres reçus ; les troupes qui reçurent le choc étaient ce qu’elles étaient : peu entraînées, mal encadrées, insuffisamment armées ; leur moral ne valait pas celui des Poilus de 1914 qui voulaient se battre. Une propagande pacifiste insidieuse avait jeté le doute dans l’esprit de la Nation. Et, sur ces troupes sans aviation et sans chars modernes, tombait une avalanche de coups précédant des gens déterminés, bien décidés à effacer leur défaite de 1918, athlètes au moral splendide, équipés pour l’attaque et disposant de moyens puissants pour réussir du premier coup une trouée sur un front assez légèrement tenu.
Le général Ruby donne fort exactement les différents dispositifs, les fluctuations du combat, les erreurs de certains chefs. Trop habitués aux kriegspiels ils peuvent difficilement admettre que les vitesses moyennes ne sont que des moyennes, et que les terrains inaccessibles sont parfois ceux par lesquels les attaques réussissent.
Le front pulvérisé en partie, le général commandant la IIe Armée sut rapidement colmater la brèche dans son dispositif et se rétablir sur l’Aisne. C’était une solution osée mais logique qui fut acceptée sans difficulté par l’État-major général et c’est sur ce front que la IIe Armée put livrer des combats très durs et arrêter l’ennemi jusqu’à la phase finale.
Par deux fois il y eut des possibilités, non peut-être de rétablir une situation bien précaire, mais, eu tout cas de lancer des coups d’arrêt susceptibles de contrarier fortement la marche de l’ennemi. Les circonstances s’y opposèrent et bientôt les armées allemandes libres de leurs mouvements après Dunkerque attaquèrent et rompirent une digue insuffisante. Ce combat « pour l’honneur » coûta du reste cher à l’ennemi, puis ce fut la lamentable odyssée des corps se repliant comme ils pouvaient, talonnés par un ennemi motorisé, par des chars rapides, par une aviation puissante. Certes, on fit tête et le dévouement de beaucoup de braves gens empêcha l’ennemi d’atteindre Marseille.
On ne saurait trop louer le général Ruby d’avoir glorifié le soldat qui a fait son devoir et le chef qui put animer sa troupe, prendre les solutions les meilleures dans des situations pénibles et, quand la disproportion des moyens n’était pas trop grande, infliger à l’ennemi des échecs sanglants.
Sedan, Terre d’épreuve, est un bon livre, sérieux par sa documentation, intéressant par son exposition profondément humaine, émouvant par sa fidélité, captivant par la façon dont il est écrit et par le cœur qu’on y découvre à chaque ligne.