La Pensée militaire allemande
Le problème de la guerre tel qu’il a été étudié du point de vue doctrinal par les Allemands est traité par le colonel Carrias dans une étude d’un intérêt de premier ordre. La corrélation qui existe entre la pensée et l’activité intellectuelle des militaires fait l’objet d’un préambule au cours duquel est évoquée l’évolution de la pensée allemande et sont indiqués les liens qui rattachent la vie de la nation à celle de son armée.
Le problème de la doctrine est ensuite abordé. Celle-ci est née en Prusse avec Frédéric II ; mais s’il fit œuvre personnelle, ses successeurs versèrent dans le dogmatisme. Ce fut alors le désastre de 1806 ; aussitôt des esprits hardis entreprirent le relèvement intellectuel de l’armée dont Scharnhorst prit la direction. Les résultats de cet effort furent marqués par l’action du commandement et de l’État-major prussien dans la lutte contre Napoléon, dont l’intervention fut déterminante à Leipzig et à Waterloo.
Mais une doctrine nationale de guerre n’avait pas encore pris corps. On revint en Prusse aux errements pratiqués avant Iéna. Toutefois, les successeurs de Scharnhorst continuèrent la lutte des idées. Clausewitz en particulier donna à la Prusse la base intellectuelle qui lui était indispensable. Il montra la subordination de la stratégie à la politique ; cette constatation fondamentale bien établie, il fit apparaître le rôle essentiel du chef qui ne peut trouver qu’en soi la solution des problèmes militaires qu’il doit résoudre sous sa seule responsabilité, en dehors de toute règle et de tout schéma.
Moltke eut le mérite, en poursuivant la lutte doctrinalement reprise par Scharnhorst, de faire passer la réforme des idées, du domaine purement spéculatif sur celui des réalisations pratiques. Schlieffen fit franchir une nouvelle étape à la pensée militaire allemande en concevant la conduite de la guerre de masse, la préparation, l’exécution et l’exploitation de la bataille générale d’anéantissement. Cette action aboutit à une communauté de vue de la part du commandement et des états-majors.
Doctrine et méthode de commandement furent mises à l’épreuve au cours de la Première Guerre mondiale de 1914 à 1918. Les altérations que Falkenhayn imposa dans le domaine de la première furent fatales à l’Allemagne dont l’effort fut en partie paralysé, Hindenburg et Ludendorff, qui avaient dès le début des opérations cherché à remettre en honneur l’enseignement de Schlieffen, ne purent, malgré leur orthodoxie, réaliser le rétablissement qu’ils souhaitaient. Ludendorff sentit que la politique pangermaniste imposait à son pays de faire participer toutes les forces dont il disposait à l’effort de guerre, il se heurta à l’incompréhension du gouvernement qui ne le suivit pas sur la voie qui menait à la guerre totale.
Sous Hitler, le relèvement militaire de l’Allemagne comprit, d’une part, le respect de la doctrine de Clausewitz complété par Moltke et Schlieffen, et, d’autre part, la conception hardie de la bataille d’anéantissement à laquelle devaient prendre part les engins à moteur terrestre et aérien.
Cette synthèse du colonel Carrias a donc le mérite de montrer sous tous les aspects l’effort fourni outre-rhin dans le domaine des idées pour traiter le problème de la guerre. Cet effort s’est heurté à des résistances opiniâtres ; il a nécessité une persévérance acharnée ; il a abouti à doter l’Allemagne d’une doctrine nationale dont la faculté de renouvellement incessant est la caractéristique essentielle, et d’une méthode de commandement répondant parfaitement aux tendances naturelles de la pensée allemande. Il a permis au Reich d’affronter, à deux reprises, les plus grandes puissances mondiales et de les tenir en échec plusieurs années. C’est donc une étude capitale qui nous est ici présentée. Elle doit retenir l’attention de tous ceux qui sont appelés à collaborer à l’œuvre nécessaire de la reconstitution matérielle, et avant tout, intellectuelle, des forces armées françaises.