Cartes sur table [Speaking Flankly]
Il n’est pas commun d’entendre un diplomate « parler franchement » et moins encore quand il s’agit du ministre des Affaires étrangères du plus grand pays du monde. Aussi faut-il être particulièrement reconnaissant à M. Byrnes, ancien secrétaire d’État des États-Unis d’Amérique, de nous exposer ainsi, « cartes sur table », les négociations qui se sont déroulées entre les Alliés, relativement à la paix, depuis Yalta jusqu’à la Conférence de Paris. Nul document ne pouvait être plus révélateur, nul personnage n’était plus qualifié pour nous éclairer sur ces diverses réunions où se discuta le sort futur du monde.
Rien ne pouvait mieux nous montrer l’opposition des buts et des méthodes, des personnes et des moyens, entre l’Occident et l’Orient. Ce qu’il appert de ce livre extraordinaire c’est, en effet, le caractère essentiellement asiatique de la diplomatie de l’URSS. Contradictions, réticences, manœuvres insidieuses, absence totale de logique (du moins à notre sens), rien n’y manque et l’on se prend malgré soi à évoquer les négociations anciennes avec la Chine de Tsou-Hi. Il s’y joint, en outre, une tactique à laquelle nous a largement habitués la propagande de l’URSS. : faux-fuyants, dérobades, contre-attaques en coq-à-l’âne, affirmations catégoriques au mépris de toute vraisemblance, voire même de toute évidence. Les mots sont souvent semblables mais ils ont une signification complètement différente et parfois radicalement opposée. L’altruisme, la générosité, la largeur d’esprit font – au besoin – place à l’égoïsme, au calcul, voire même à la mesquinerie. Aussi le livre constitue-t-il, et restera-t-il, un témoignage capital sur l’histoire de notre temps. Aucun de ceux qui s’intéressent aux problèmes essentiels de l’heure, aux questions angoissantes que pose le proche avenir, ne peut, l’ignorer. Outre les clartés, combien éblouissantes, que M. Byrnes était seul, ou presque, à pouvoir nous donner sur les négociations de guerre et d’après-guerre, le lecteur y trouvera, entre autres, un chapitre éminemment suggestif sur l’histoire du Pacte de non-agression germano-soviétique qui, signé le 23 août 1939, est inséparable de l’origine de la Seconde Guerre mondiale. Cartes sur table est un livre, souvent passionnant toujours intéressant, qui projette une lumière crue sur de nombreux points que la diplomatie avait coutume de garder jalousement cachés, et qui, presque à lui seul, permet, de comprendre tant de choses qui paraissaient incompréhensibles.