L’étrange alliance
C’est encore une œuvre bien intéressante et à verser au dossier, déjà si bien fourni, de la guerre de coalition que le livre du général américain John R. Deane, qui a obtenu aux États-Unis un si vif succès.
L’auteur était chef de la mission militaire détachée auprès du Gouvernement de l’URSS pendant la guerre. Il est donc particulièrement bien placé pour révéler au public tout ce qu’il a pu observer dans la coulisse soviétique. Une fois de plus, son récit explique le mot fameux du maréchal Foch : « Depuis que j’ai l’expérience de la guerre de coalition, mon admiration pour Napoléon a bien diminué. » D’autres ouvrages ont illustré cette boutade en ce qui concerne les rapports des états-majors anglo-saxons ; mais si scabreux qu’ils aient été par moments, ceux-ci restaient, malgré tout, empreints d’une indéniable fraternité d’armes. Ces hommes, liés pour la même cause, sentaient et pensaient de même. Il n’en fut pas ainsi à Moscou entre les Russes, d’une part, les Américains et les Anglais de l’autre. Notre auteur a passé dans la capitale soviétique deux années décisives, puisqu’il est arrivé avant la conférence de Téhéran et qu’il est reparti après celle de Potsdam. Le livre est empreint d’une sincérité et d’un humour bien américains ; il analyse, avec une lucidité et une candeur auxquelles on ne peut guère résister, les causes multiples des difficultés innombrables qu’a eues à surmonter le chef de la mission militaire des Américains. Non point, d’ailleurs, qu’il soit un ennemi juré du peuple russe ; il lui manifeste au contraire une sympathie profonde ; mais il a dû renoncer à ses premières illusions de néophyte, au contact même de la réalité ; il a mis à nu, avec une impitoyable précision, les causes qui rendront, sans doute, toujours presque impossible une collaboration entre deux régimes aussi éloignés l’un de l’autre. Les principales sont : la méfiance maladive qu’éprouvent les dirigeants de la Russie à l’égard des étrangers, la structure du régime, qui interdit de jamais prendre une décision aux échelons inférieurs et oblige de remonter jusqu’à Staline pour obtenir un oui ou un non catégorique. On conçoit à quelle épreuve fut mise la patience de ce général américain qui, comme tous ses contemporains, était, avant tout, un réaliste, pressé d’aboutir à des résultats tangibles.