Le second drame de Maubeuge : histoire de la 101e Division de forteresse, (84e et 87e RIF)
Le second drame de Maubeuge décrit les événements dont le secteur défensif de Maubeuge fut le théâtre en mai 1940. Dédié aux combattants de la 101e Division de forteresse, chargée de la défense du secteur, cet ouvrage offre un intérêt qui déborde largement le cadre habituellement étroit des engagements d’une division. En effet, le secteur de Maubeuge a constitué le môle de résistance que le commandement s’est efforcé, en vain, d’utiliser aussi bien pour étayer, vers le Nord, le colmatage de la brèche ouverte sur le front de la IXe Armée, que pour fixer vers le Sud la droite de la Ire Armée au terme de sa retraite.
De ce fait, le secteur de Maubeuge a participé aux opérations si mouvementées de ces deux armées. Chargée de recueillir leurs éléments d’aile et d’en assurer la liaison, son action devait dépendre des conditions de repli de ces éléments, de leur état matériel et moral. Enfin, ce secteur fortifié, le seul, doté de quelques ouvrages puissants, qui ait été, en 1940, l’objet d’une attaque en forces, nous offre un champ intéressant d’expériences techniques. Ces perspectives lointaines, ouvertes sur le terrain de la stratégie et sur celui de la technique, donnent lieu à des analyses intéressantes, aux conclusions, en général, indiscutables, concernant aussi bien l’évolution de nos conceptions en matière de fortification, que les conditions d’engagement des grandes unités des Ire et IXe Armées sur la Dyle et la Meuse, ainsi que leur repli de part et d’autre de la Sambre.
Cédant au désir de nous faire vivre les opérations des unités de forteresse, si dispersées dans les ouvrages, l’auteur accumule les témoignages des acteurs et les confronte. La multiplicité de ces touches de détail nuirait à la clarté de l’exposé si elles n’étaient insérées, à leur place, dans un tableau d’ensemble quotidien des opérations. Elles prennent ainsi leur relief.
Les organes fortifiés du secteur défensif, séparés par de larges intervalles et fournissant exclusivement des feux de flanquement, ne constituaient que les points forts de notre position, dont la défense exigeait le concours de grandes unités de campagne, dites divisions de renforcement, chargées de meubler les intervalles et de fournir les feux de front d’infanterie et d’artillerie. Or, ce renforcement, indispensable à la défense du secteur, fut réalisé à Maubeuge non par des unités fraîches en réserve, mais par les débris épuisés, démoralisés, privés d’armement et de munitions des unités défaites de la IXe Armée. Citons, à titre d’exemple, l’artillerie d’appui du 3e bataillon du 84e RIF (Régiment d’infanterie de forteresse), qui dispose de 32 coups de 75 et de 150 de 105 ; l’arrivée, in extremis, d’un groupe du 308e Régiment d’artillerie avec… deux canons et… seize coups. Or, dès le 16 mai, les corps blindés refoulant la cohue des fuyards sont au contact. Situation dramatique pour « ceux de la forteresse » que leur devoir et leur honneur rend solidaires de leurs ouvrages isolés sur une position presque vide de défenseurs.
Rommel attaque sur Clairfayts. Aussi longtemps que l’artillerie d’appui demeure en action, toutes ses tentatives échouent. Mais à peine l’artillerie, privée de munitions, est-elle réduite au silence que les casemates sont aussitôt débordées, entourées par les chars et les canons automoteurs allemands qui, à bout portant, prennent à parti leurs points sensibles : créneaux, orifices d’aération, portes d’entrée. La chute de deux casemates ouvre la porte aux blindés. C’est aussitôt la ruée de suprême audace sur Avesnes, puis sur Landrecies, dont nous suivons les hallucinantes péripéties. La désorganisation de nos arrières et l’absence de réserves sont telles que l’exploitation de ce raid livre aux Allemands la rive droite de la Sambre, dont les passages sont tenus par des fuyards regroupés, des permissionnaires hâtivement rassemblés. Pendant ce temps, la droite de la 1re Armée, débordée, traverse la position sur la rive gauche de la Sambre et poursuit sa retraite sur l’Escaut. L’ennemi, débouchant de la Sambre a tout le loisir d’attaquer la position fortifiée… par l’arrière. Les ouvrages, dont les intervalles sont abandonnés, se referment sur leurs défenseurs qui poursuivent une lutte sans espoir. Les Allemands passent à la destruction méthodique, successive, de chaque ouvrage. La plupart de ces agonies collectives reflètent une obstination dans le sacrifice d’une suprême noblesse.
C’est autour de Maubeuge, dans le désordre de la défaite, que l’éternel conflit de l’héroïsme et de la peur a revêtu son caractère le plus tragique. Rompant avec l’abus du Gloria victis inconsidéré, dont la littérature militaire de l’armistice a porté la marque, l’histoire de la 101e Division de forteresse analyse ce conflit psychologique avec un réalisme objectif. Certes, la peur et l’héroïsme se sont partagé les âmes, parce que ces combattants étaient simplement des hommes, mais le fait que dans cette ambiance de désastre, dans l’abandon dont ils étaient victimes, indifférents à l’inutilité pratique de leur résistance, ces hommes aient, en majorité, opté pour le sacrifice, nous prouve que le Français, même accablé par le sort, reste soumis à la primauté du spirituel.