Dunkerque et la campagne de Flandre
Les événements dramatiques, dont les armées du Nord furent les victimes du 10 mai au 4 juin 1940, n’avaient été traités, jusqu’ici, que de façon sommaire dans des ouvrages embrassant l’ensemble de la campagne de 1940 et consacrés beaucoup plus à l’accusation ou à la défense du Haut-commandement qu’à l’étude détaillée des opérations. Le présent ouvrage répond à un tout autre but. S’interdisant toute incursion dans le domaine de la stratégie critique, le général Doumenc, qui a suivi pas à pas les unités de la Ire Armée, nous présente un tableau extrêmement vivant de leurs mouvements et de leurs combats.
Il nous expose les décisions prises successivement à chaque échelon du commandement, les événements qui les ont inspirées et ceux qui en furent les conséquences. La complexité d’un pareil ensemble n’en compromet pas la clarté tellement le détail générateur de vie – témoignages directs des combattants – est situé à sa place dans le cadre des événements majeurs et des décisions essentielles pour en accuser le relief.
En nous décrivant l’action audacieuse de la VIIe Armée en Hollande, la vigoureuse défense de la Ire Armée sur le front de la Dyle, son repli sous la pression des masses blindées adverses, ses réactions sur la position frontière et sur le canal de la Sensée, les efforts du commandement français en vue d’associer les Britanniques à une suprême offensive vers le Sud, enfin l’encerclement de Lille et l’agonie de Dunkerque, l’auteur nous fait constater que chacune de ces étapes de la bataille du Nord a été marquée, à l’échelon des divisions, par l’exécution rigoureuse des missions qui leur furent imparties. Certaines de ces réactions portent la marque d’une valeur militaire exceptionnelle. Or, un désastre sans précédent a soldé cet ensemble d’actions méritoires.
Le général Doumenc se défend de porter des jugements et il tient parole, mais la mission de faits précis, qu’il apporte en témoignage, permet à tout esprit critique de se prononcer avec d’autant plus d’indépendance que celle-ci est mieux respectée par l’auteur lui-même. Dans sa conclusion, le général Doumenc se borne à évoquer la fatalité, rançon séculaire de la faiblesse. Or, le déficit d’un bilan des forces n’a jamais été qu’un facteur d’aggravation d’une erreur stratégique et d’un échec initial. En l’espèce, le drame des Armées du Nord apparaît comme l’expiation douloureuse de l’erreur majeure qu’a commise le généralissime en portant son aile gauche au devant des Allemands, dont il connaissait l’écrasante supériorité et en la livrant, ainsi, en terrain libre, à tontes les incertitudes d’une bataille de rencontre. À peine la Ire Armée est-elle parvenue, le 14 mai, à devancer l’ennemi sur le front Wavre-Namur, que la rupture du front de la Meuse amorce le débordement de son aile droite. Le repli sur la position frontière, ordonné dès le lendemain, s’effectue à l’allure du fantassin, alors que le débordement se précipite à la vitesse des chenilles allemandes, exploitation massive ininterrompue, menée à toute allure, qui paralyse le commandement français. Celui-ci, aveuglé par l’aviation ennemie qui le prive de tout renseignement, absorbé par le jeu de ses échelons de repli, gêné par l’arrivée tardive des divisions de la VIIe Armée et par les réticences des Alliés, ne parvient pas à reprendre, malgré ses efforts, l’initiative des décisions. La lutte désespérée de nos plus belles divisions qu’une manœuvre stratégique a paralysées, sans que l’ennemi soit parvenu à les dominer, constitue tout le drame décrit par le général Doumenc. Ce récit apporte à tous les combattants du Nord l’explication de leurs revers et le réconfort d’une réhabilitation qu’ils n’ont que trop attendue.