Mes camarades sont morts. T. I et T. II
Le nouveau livre de Pierre Nord révèle au public les réalités d’un service de défense nationale dont on ne parlait, jusqu’à la dernière guerre, que prudemment et par prétention. Ce lecteur y apprendra que, dans l’ombre, en tête et au-dessus des « réseaux » de renseignements surgis d’un réflexe contre l’occupant et d’une volonté de libération, un grand organe s’identifiant avec nos réflexes nationaux les plus anciens et les plus profonds, taisant pudiquement ses sacrifices et ses morts, livrait à l’ennemi une lutte sans armistice ni trêve, et surclassait ses adversaires : c’était notre service des renseignements. Introduit depuis longtemps dans l’Ost allemand – septembre 1871 ! – il en connaissait les forces invisibles, en dénonçait les points faibles, et rouvrait à la France et à ses alliés les voies de la victoire un instant obstruées. À ce titre, on ne voudrait qu’approuver et applaudir. Car il est malheureusement hors de doute que l’ignorance des foules à l’égard du SR français, lui a valu plus d’un trait d’injustice, et à notre défense nationale plus d’une hésitation, quand celle-ci pouvait être mortelle. On voudrait pouvoir dire que le talent, et le cœur de Pierre Nord ont fait œuvre pie.
Mais, fâcheusement, sa démonstration facile et pertinente heurte un impératif qui domine la chose et les hommes. Les hommes, eux, n’ont jamais voulu qu’on parlât d’eux. Consigne d’abord, et solidement motivée. Et puis, France au-dessus de tout. Ce grand anonymat que les prudents vocables de Pierre Nord ne sauraient entièrement ménager, a servi les fins françaises autant que les actions difficiles et salutaires – souvent très humbles – qui s’accomplissaient sous son masque hermétique. Un jour de 1937, un modeste auxiliaire du SR, œuvrant, depuis dix-sept, années, mourait en classant ses archives : sa femme apprit ce jour-là qu’il appartenait au SR.
Mais il y a plus grave. C’est la première fois qu’en « clair », on prétend dégager de documents et d’actes authentiques la technique du SR français et ses subtilités. Les spécialistes de ce service diront à Pierre Nord qu’en règle universelle, point ne sied de toucher à ces choses, même pour les louer. Car il peut arriver qu’une expérience presque centenaire, acquise par les supériorités de l’esprit et par les sacrifices de l’homme, soit menacée de ruine par les présents qui la désignent. Vainqueurs et vaincus d’une guerre peuvent impunément révéler les armes dont ils se servirent. Mais démonter publiquement le mécanisme des actions secrètes du SR qui, lui, continue la guerre, est très certainement une faute. Un auteur averti et bien intentionné, tel que Pierre Nord, pouvait aisément l’éviter, et s’abstenir de mettre à nu les précieuses « valeurs » d’où notre SR tira sa victoire. Au socle de la grandeur française, la fresque n’eût pas été moins belle.