La victoire en Europe et dans le Pacifique
C’est le titre d’une remarquable traduction du dernier rapport biennal adressé par le général Marshall, chef d’État-major de l’Armée des États-Unis, à son gouvernement. Ce document, d’un intérêt capital pour l’étude de la dernière guerre mondiale, comprend une lettre préface et le texte du rapport divisé en trois parties : La Victoire en Europe, la Victoire sur le Japon, Considérations diverses. Dans sa préface, s’adressant visiblement au peuple des États-Unis, le général Marshall affirme les dangers que l’isolationnisme et l’impréparation militaire ont fait courir à la sécurité américaine.
Évoquant « les jours noirs de l’été 1942 où l’Allemagne et le Japon furent si près d’achever la domination du Monde… où la survivance des Alliés n’a tenu qu’à un fil », il écrit généreusement que « le refus des peuples anglais et russe, d’accepter ce qui paraissait être une défaite inévitable, fut le grand facteur du sauvetage de notre civilisation ». L’incapacité des puissances de l’Axe à exploiter cette situation, « à s’accorder sur un plan stratégique d’ensemble pour la réalisation d’un objectif commun… » ne contribua pas moins à leur défaite finale. L’auteur expose les résultats des enquêtes effectuées, à ce sujet, en Allemagne et au Japon après la Victoire, et conclut : « Non seulement les partenaires européens de l’Axe furent incapables de coordonner leurs plans et leurs ressources, mais le partenaire d’Extrême-Orient, le Japon, opérait suivant une méthode plus discordante encore. L’Axe, en fait, existait seulement sur le papier… »
Se tournant ensuite vers l’avenir, le général Marshall s’efforce de convaincre le peuple américain des immenses périls que recèle l’ère nouvelle de la puissance atomique, des fusées, des électroniques. Il le met en garde contre le danger d’une doctrine « proche de celle de la défense négative qui a ruiné la France ». La seule défense efficace réside désormais dans la puissance d’attaque et celle-ci ne peut résider dans la seule machine. « Il faut des hommes pour en venir aux prises avec l’ennemi et lui arracher ses bases d’opérations et ses centres de production, avant que la guerre n’ait eu le temps de finir… La preuve classique et magistrale de ces vérités a été fournie par la bataille d’Angleterre… Ce n’est qu’après que nos armées eurent traversé la Manche et se furent assurés du territoire ennemi, que l’Angleterre se trouva à l’abri de la grêle des bombes fusées… Telle est la structure de la guerre au XXe siècle. »
Dans la première partie de son rapport (Victoire en Europe), le général Marshall expose d’abord la « Conception stratégique » des Alliés occidentaux élaborée, sous la direction politique du Président des États-Unis et du Premier ministre britannique, par un organe de commandement stratégique unique, le « Conseil des chefs d’état-major anglo-américain », créé en décembre 1941 et grâce auquel « fut accomplie la plus complète unification d’un effort militaire qui ait jamais été réalisée par deux nations alliées ». On admit, dès l’origine, qu’il fallait, d’abord, vaincre l’Allemagne, l’adversaire principal, en cherchant la décision à travers la Manche, dans les plaines de l’Europe Nord occidentale. La date de l’invasion fut d’abord fixée à l’été 1943. Mais la crise aiguë de 1942 contraignit les Alliés à improviser le débarquement, en Afrique du Nord (opération Torch), puis l’invasion de l’Italie méridionale, pour rétablir la route maritime méditerranéenne et provoquer la chute de l’Italie. L’opération principale dut être ajournée au printemps 1944. Le rapport décrit cette entreprise audacieuse qui « comportait le risque d’un désastre colossal », puis il résume, avec clarté et concision, les opérations qui entraînèrent la capitulation de l’Allemagne. Dans la deuxième partie de son rapport, le général Marshall expose à grands traits, les vastes opérations qui se déroulèrent dans le Pacifique et en Asie sud-orientale de 1943 jusqu’à la fin des hostilités : la campagne de Birmanie, en vue de rétablir les communications par terre avec la Chine ; l’occupation des îles Gilbert et Marshall, puis des Mariannes ; la reconquête des Philippines et les grandes batailles des Vizayas et de Luçon ; enfin, la dure conquête d’Iwo Jima, puis d’Okinawa dans les Riou-Kiou, bases d’une importance capitale pour l’attaque aérienne du Japon. Toutes les dispositions étaient prises pour lui porter le coup final au printemps de 1946, lorsque, les 6 et 9 avril 1945, l’intervention de la bombe atomique entraîna sa capitulation.
Dans la troisième partie de son rapport, l’auteur traite diverses grandes questions administratives ou techniques et, finalement, adresse à la nation américaine, sous le titre « Pour la Défense commune », un éloquent appel en faveur d’une forte organisation permanente de la Défense nationale. Écartant la conception d’une nombreuse armée régulière de professionnels comme dangereuse pour les libertés de la nation, il invoque l’autorité de George Washington pour recommander l’adoption de ce qu’il appelle « L’Entraînement militaire universel », car même une guerre de machines exige de nombreux effectifs instruits.
Par l’ampleur des vues qui y sont développées, le rapport Marshall présente un intérêt exceptionnel et témoigne que son auteur n’est pas seulement un stratège et organisateur militaire de grande classe, mais aussi un véritable homme d’État. ♦