Le sentiment national en Allemagne
Le titre exact de cet intéressant ouvrage de l’érudit professeur à la Sorbonne serait Formation du sentiment national en Allemagne de 1750 à 1815. Nous voyons comment, chez les représentants les plus divers de l’Allemagne d’alors, le cosmopolitisme le plus large se transforme en nationalisme plus ou moins étroit.
C’est aussi une histoire du patriotisme et de ses métamorphoses : Lessing considère celui-ci comme une « héroïque faiblesse dont il se passait fort bien », et n’aurait pas « levé le doigt pour sa chère pairie ». Cependant, ce même Lessing fut, on le sait, un des premiers artisans de la conscience nationale et, en ce sens, un des grands « patriotes allemands ». C’est que le sens du mot patriotisme a profondément changé. En bref, il se transforma en nationalisme et, d’humanitaire qu’il était, il devint politique, territorial, matérialiste et conquérant. Triste chapitre de l’histoire de l’apothéose de l’État qui, au XVIIIe siècle, était considéré comme devant être subordonné aux individus et tendait, dès le début du XIXe, à devenir l’ultima ratio qui ne tolérerait que des serviteurs, voire des esclaves.
La partie la plus importante de ce livre est consacrée à Fiche et aux fameux Discours à la Nation allemande. L’auteur met, semble-t-il, les choses exactement au point, sans dissimuler la responsabilité du philosophe dans le développement ultérieur du pangermanisme. Mais il apparaît clairement que Fichte resta le partisan des principes de 1789 et qu’il voulut reprendre la tâche de la Révolution, après que celle-ci eut échoué. On ne lira pas sans stupéfaction, que le futur auteur des Discours avait offert ses services et son entier dévouement à la République française, en disant que sa patrie allemande ne l’intéressait pas et que la seule patrie du philosophe était le pays le plus avancé sur la voie du progrès humain.
Sans entrer dans toutes les considérations qui formeraient, un plaidoyer pour les circonstances atténuantes, on ne peut que constater, en gros, mais d’une façon très nette, que ce sont les guerres napoléoniennes qui sont à la source du nationalisme moderne. L’idéologie fichtéenne, avec son vocabulaire particulier, vocabulaire d’ailleurs dangereux qui est, nous dit Maurice Boucher, « plus d’un avocat que d’un philosophe », et celle de Arndt, plus passionné, plus polémiste et aussi foncièrement anti-français, rappellent étonnamment, celle des Alliés, pendant la Première Guerre mondiale. Tout ce que ceux-ci reprochaient à l’Allemagne en 1914-1918, l’Allemagne le reprochait alors à la France. Nous étions le peuple dynamique, conquérant par nature, grégaire, insupportable pour ses voisins et qui ne les laisserait jamais en paix. ♦