La situation dramatique dans laquelle se trouvent, depuis de longues années, les pays de l’ancienne Indochine française nous font trop souvent oublier l’importance géopolitique et géostratégique de ce qu’on appelle l’Asie du Sud-Est. Cette région du monde, formée de presqu’îles et d’archipels réunissant une charnière du continent asiatique à la grande île australienne, est à la fois un extraordinaire lieu de rencontre de races, de peuples, de civilisations extrêmement diverses et une barrière entre deux mondes maritimes, d’une part l’océan Pacifique, d’autre part l’océan Indien. On sait le rôle joué par ces pays dans la dernière guerre, en raison de leurs richesses, surtout pétrolières, qui attiraient la convoitise des militaires japonais. C’est aussi là qu’a commencé la désagrégation des grands empires coloniaux.
Le sujet sera, ici, limité aux cinq Nations d'Asie du Sud-Est qui forment l’association connue sous le sigle ASEAN. Dans un premier temps, il situera ces pays dans un cadre historique et géographique. Un article postérieur étudiera la manière dont cette association s’est constituée ainsi que la manière dont elle fonctionne et elle évolue.
Face aux pays socialistes de l’Asie du Sud-Est contraints à se ranger derrière un Vietnam lui-même lié à l’URSS plus que ne l’avait désiré Ho Chi-minh, la plupart des autres États de cette région du monde – hormis la Birmanie, toujours réticente à s’ouvrir, et le petit sultanat de Brunei, encore sous la tutelle britannique – se sont regroupés en une association qui, bien que l’emportant sur d’autres ensembles régionaux du Tiers Monde en homogénéité, en efficacité et en importance, ne fait l’objet, en France du moins, que de peu d’études, tant il est vrai que nos concitoyens, inconscients du poids présent et plus encore futur de l’Asie, semblent très généralement se désintéresser d’un continent trop lointain ou trop complexe (1).
Quelques rares milieux spécialisés se consacrent aux deux « Grands » de l’Asie, Chine et Japon ; l’opinion, quant à elle, se contente de s’émouvoir, épisodiquement, aux malheurs des trois pays qui furent liés naguère à la France durant la période troublée de la colonisation et de la décolonisation ; hormis ces quelques exceptions, on ne peut que déplorer le « vide français », notamment dans les autres pays de l’Asie du Sud-Est dont il va être question (2).
Nous voudrions donc présenter brièvement cet ensemble de cinq pays indépendants, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande, qui se sont regroupés sous l’appellation d’« Association de l’Asie du Sud-Est ». Nous évoquerons dans les lignes qui suivent, tout d’abord le contexte historique et culturel dans lequel sont nés ces cinq États ; ceux-ci seront ensuite successivement évoqués à travers les traits les plus essentiels et les plus originaux de leur personnalité. Nous réserverons à un développement ultérieur le rappel des événements qui ont provoqué la mise en place de mécanismes communs dont nous analyserons le fonctionnement et l’évolution ; et pour terminer cette étude nous procéderons à un tour d’horizon de l’environnement international dans lequel se situe ce groupement régional dont l’audience s’est singulièrement accrue en raison de la crise indochinoise, et avec lequel notre pays, directement ou dans le cadre de la Communauté Européenne, aurait intérêt, nous semble-t-il, à accroître ses échanges de tous ordres.
Un héritage multiple
Les premiers peuplements
Le rôle prééminent de l’Inde et de la Chine
L’Islam d’hier et d’aujourd’hui
L’influence occidentale
L’impact ambigu du Japon
Les pays membres
L’Indonésie (140 millions d’habitants)
Les Philippines (48 millions d’habitants)
La Thaïlande (48 millions d’habitants)
La Malaisie (14 millions d’habitants)
Singapour (2,5 millions d’habitants)