Jules Ferry
Bien que Jules Ferry soit, de loin, le plus grand homme d’État français du dernier quart du XIXe siècle, sa personnalité est peu connue et souvent méconnue. Maurice Reclus, brillant historien de la Troisième République, vient de lui consacrer un volume très important qu’on peut considérer comme définitif, et qui « classe » une fois pour toutes à son véritable rang – l’un des premiers de notre histoire – le réformateur de l’enseignement en France et le fondateur de l’Empire colonial français.
Dans cette biographie puisée aux sources originales, où une large part est faite aux documents humains, aux « valeurs » spirituelles et sentimentales, aux aspects passionnels d’une vie tourmentée que la fatalité marqua souvent de son sceau et qui, bien que nullement romancée, se lit d’un bout à l’autre comme la plus attachante des œuvres d’imagination, Maurice Reclus a marqué l’influence profonde que Jules Ferry a exercée sur son temps et sur les destinées de notre pays.
En proclamant la neutralité de l’enseignement public à tous ses degrés, Jules Ferry a entendu travailler à l’unité morale du pays : grouper la jeunesse autour de la République, la vouer exclusivement à la patrie. On a, à cet égard, travesti ses intentions. On a parfois fait un sectaire de ce libéral respectueux à l’extrême de la religion, partisan déterminé et militant du Concordat, défenseur du budget des cultes, adversaire résolu du monopole de renseignement, et, à beaucoup d’égards, admirateur de l’Église.
En ce qui concerne la politique coloniale, Maurice Reclus montre qu’elle a été positivement inventée par Jules Ferry qui, par un effort de construction sans précédent dans nos annales, a pensé l’expansion française outre-mer, a conçu les fins nationales auxquelles elle devait tendre, les moyens de la rendre efficace, les méthodes à suivre par la IIIe République pour devenir l’animatrice d’un Empire. Cet Empire, il contribua lui-même, on le sait, plus que tout autre, à le réaliser en plaçant sous l’influence française la Tunisie, le Tonkin, la majeure partie de l’Afrique Noire, et en accomplissant la première étape de la conquête de Madagascar.
Ce sont là des titres exceptionnels à la reconnaissance nationale. Cette existence, si profitable à la patrie, si glorieuse en elle-même, Maurice Reclus la suit pas à pas, à travers la turbulence avisée de la jeunesse républicaine sous l’Empire, les épreuves du Gouvernement de la Défense nationale, les grandes luttes politiques, aux côtés de Gambetta, les « inscriptions » historiques des deux cabinets Ferry de 1881 et de 1882-1885, la tragique journée parlementaire de Lang-Son, la chute, l’impopularité, l’apothéose finale. Au total, un grand livre, digne en tout point de ce grand sujet.