Les deux superpuissances ont-elles, de l'emploi de leurs arsenaux nucléaires, des conceptions suffisamment voisines pour donner lieu à des accords de limitation des armements ? C'est là un problème majeur qui prend une acuité particulière au moment où l'on se demande si les accords SALT II seront ratifiés. L'auteur cherche à comparer les deux doctrines stratégiques, ou tout au moins ce que l'on peut en savoir en France à travers les documents américains. Il en conclut que, des deux côtés, on ne peut changer la nature profonde de l'arme nucléaire. Elle reste potentiellement une arme de destruction massive, et la dissuasion garde toute sa force.
Les doctrines stratégiques des deux Grands
États-Unis et Union Soviétique se font face de chaque côté de l’espace polaire arctique. Chacun possède un arsenal nucléaire qui lui permet de frapper l’autre chez lui. Ces deux pays ont donc un intérêt commun : ne pas se détruire mutuellement. Une situation assez symétrique sur le plan géographique et sur le plan des matériels ne suffit cependant pas à assurer qu’ils sont placés en dissuasion réciproque. Il faut aussi qu’ils admettent des conceptions assez voisines de l’emploi, ou du non-emploi, de leurs armes nucléaires, qu’ils aient ce que l’on appelle une « rationalité partagée ».
Pendant longtemps, les Américains ne se sont pas posé la question. Pour eux la chose allait de soi, car ils n’imaginaient pas que l’on puisse avoir un raisonnement différent du leur. En 1977, Paul Warnke, directeur de l’Arms Control and Disarmament Agency (ACDA) parle de manière méprisante des aspects « primitifs » de la doctrine soviétique. Depuis quelques années cependant ils cherchent à mieux connaître les idées de leur partenaire. Bien des éléments de la doctrine soviétique deviennent ainsi accessibles par des traductions de documents officiels, de livres destinés aux officiers soviétiques. On trouve aussi des études faites par des spécialistes américains. En France, c’est un domaine encore inexploré, au moins publiquement. Il est donc très intéressant d’essayer de se faire une idée, par ce moyen, de ce que pensent les Soviétiques pour comparer avec la doctrine américaine qui est facilement accessible, au moins dans ses grands principes.
L’affaire est cependant pleine d’embûches. Nous ne savons pas si les traductions sont fidèles ni si les documents traduits sont effectivement de véritables instruments de travail des officiers soviétiques. Ils peuvent être des instruments de « désinformation » habilement placés pour nous tromper sur la véritable doctrine. Les études américaines elles-mêmes ne sont pas exemptes d’arrière-pensées. Quand on exploite une documentation, quelle qu’elle soit, on ne sait jamais si l’on n’est pas soi-même un moyen inconscient manipulé par des groupes de pression occultes. Aussi faut-il examiner la cohérence des idées émises, cohérence interne d’abord de systèmes de pensées, mais aussi cohérence avec tout ce que nous pouvons connaître des mentalités et des réalisations matérielles.
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