Dans un premier article, l'auteur a évoqué le contexte historique et géopolitique dans lequel s'est constituée l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, plus connue sous le nom d'ASEAN. Dans cette seconde partie, il aborde les conditions dans lesquelles cette organisation régionale s'est structurée et la manière dont elle s'est imposée sur la scène internationale grâce à sa cohésion interne.
L'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) - (II) Évolution interne et rayonnement extérieur
Douze ans se sont écoulés depuis la création de l’ASEAN. Le délai est suffisant pour permettre de dresser un bilan de cette entreprise dont l’acte de naissance officiel est constitué par la déclaration de Bangkok du 8 août 1967. Nous allons d’abord voir les circonstances qui ont abouti à l’élaboration et à l’adoption de ce texte, puis les conséquences qui en ont résulté pour la construction de l’Association. Celle-ci a rencontré des difficultés internes mais remporte en revanche des succès évidents. Une telle étude doit aussi se mener en examinant le cadre international dans lequel l’ASEAN doit vivre, sur le plan politique et économique.
La prise de conscience d’une solidarité
Dès la fin de la seconde guerre mondiale, Pridi Panomyong, alors Premier ministre d’une Thaïlande redevenue provisoirement Siam pour faire oublier sa collusion avec les Japonais, propose une sorte d’union très lâche entre son pays et ce qui constituait encore une Indochine française déjà menacée sinon chancelante. Pridi est à la fois un « homme de gauche » – il devait passer une bonne partie de son exil ultérieur à Pékin – et un protégé des Américains pour n’avoir pas cédé aux séductions japonaises. Sa proposition est dirigée en fait contre la France ou, du moins, est considérée comme telle à Paris. Elle aurait peut-être fourni une échappatoire au guêpier indochinois, mais restera sans suite. Les militaires siamois, qui ont tôt fait de chasser Pridi et de reprendre le contrôle de la Thaïlande, préfèrent élargir leur solidarité géographique à d’autres pays situés en Asie ou ayant encore des responsabilités sur ce continent. C’est, en 1954, l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) dont l’initiative revient à John Foster Dulles, soucieux de renforcer la cohésion des alliés des États-Unis en Asie face aux pays socialistes, encore solidaires, qui viennent de remporter un succès éclatant par Viet-Minh interposé (1). Au sein de l’OTASE, seuls parmi les futurs partenaires de l’ASEAN, les Philippines et la Thaïlande figurent officiellement comme puissances contractantes. La Grande-Bretagne n’ayant pas encore achevé sa décolonisation en Asie du Sud-Est et se trouvant être signataire du pacte de Manille, la Malaisie et Singapour s’y trouvent de quelque manière indirectement associés, mais à leur corps défendant (2).
Seule l’Indonésie, alors farouchement neutraliste, se tient à l’extérieur de ce pacte militaire et en dénonce violemment les effets qui entraînent certains pays asiatiques dans le sillage de l’« impérialisme ». La conférence de Bandoeng, organisée peu après, en mars 1955, sur l’initiative de Soekarno, constitue une forme de réplique à ce pacte. Elle apparaît aujourd’hui comme à l’origine de ce qui, dans les années soixante, devait devenir le non-alignement grâce à l’intervention de Tito. En 1961, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande jettent simultanément les bases d’un début de coopération en créant une « Association de l’Asie du Sud-Est » dont l’existence est précaire et l’action bien modeste. En 1963, Soekarno tente de rassembler tous les pays de la région ayant subi l’imprégnation ethno-culturelle du monde malais, sous l’appellation synthétique, à la mode indonésienne, de « Maphilindo » (Malaisie, Philippines, Indonésie). Les réticences d’une Malaisie effarouchée par les prétentions hégémoniques et socialisantes de son puissant voisin indonésien provoquent cependant, entre les deux pays, une confrontation particulièrement sévère dans l’île de Kalimantan que se partagent les deux États. Les prétentions de Sabah sur les régions musulmanes de Mindanao et les îles Sulu d’une part, des Philippines sur la majeure partie du Sabah d’autre part enveniment les relations entre Manille et Kuala Lumpur.
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