Introduction
Le 12 décembre dernier, le Comité d’études de défense nationale (CEDN), dont la revue « Défense Nationale » est le principal moyen d’expression, a tenu une réunion-débat sur le sujet : « Les nouvelles armes économiques »
Cette réunion ne se proposait pas de traiter de « guerre économique », au sens très général que l’on donne aujourd’hui à ce terme. Elle s’est par contre consacrée à l’étude de certains moyens d’ordre économique afin d’examiner comment ils pourraient être utilisés comme des instruments de politique extérieure, par exemple pour appuyer un geste diplomatique et lui donner une signification particulière, ou pour exercer une pression sur un gouvernement et un pays. Il s’agit donc bien « d’armes » susceptibles d’être utilisées par les différentes nations pour promouvoir leurs intérêts, avec leurs capacités propres et leurs limites d’emploi ou de menace d’emploi.
L’utilisation de l’arme économique dans les relations internationales n’est certainement pas une nouveauté réservée à notre époque. L’embargo, le blocus, le gel ou la saisie d’avoirs étrangers ont été pratiqués de tout temps. Entre les deux guerres, les instances internationales ont brandi, sinon effectivement appliqué, des sanctions économiques. La forme prise actuellement par l’économie mondiale paraît cependant devoir donner une efficacité redoutable à certains moyens, en raison de l’étroite interdépendance qui existe entre les différentes économies nationales et de la profonde inégalité qui règne dans la répartition des richesses, des niveaux de vie, de l’industrialisation des peuples et des ressources en matières premières. Cette efficacité peut trouver, de plus, un champ d’application étendu du fait de la préférence qui est donnée dans les affrontements entre États à ce qu’on appelle la stratégie « indirecte » par rapport à la stratégie « directe ». L’arme économique apparaît comme un moyen d’action qui évite le recours à la violence armée. Dans le même temps, les actes de chantage et de rétorsion se sont « banalisés », alors qu’autrefois ils auraient été considérés comme des « casus belli ». L’arme économique peut ainsi devenir un instrument d’actions ponctuelles et sélectives, dans des confrontations aussi bien Est-Ouest que Nord-Sud, entre nations industrialisées, et en particulier entre super-puissances, ou entre pays industrialisés et pays en voie de développement.
Telles étaient les raisons qui avaient amené notre Comité d’études à choisir le sujet de cette réunion-débat et à demander à trois personnalités particulièrement qualifiées de l’animer : M. le sénateur Pisani, ancien ministre de l’Agriculture, pour « l’arme alimentaire », M. Lattes, directeur des études et de la prospective de la Banque de Paris et des Pays-Bas, pour « l’arme énergétique », et M. Saint-Geours, président-directeur général de Metra International, pour « l’arme financière ». Tous trois sont membres du Club de Rome (1), ce qui témoigne de la très grande étendue de leur connaissance des problèmes mondiaux, de leur vision résolument prospective de ces problèmes et de leur esprit de parfaite indépendance.
Nous n’imaginions pas cependant, lors de notre réunion-débat, que les événements d’Iran et d’Afghanistan viendraient mettre les « nouvelles armes économiques » au premier rang de l’actualité, et que bien des points discutés le 12 décembre seraient journellement commentés dans la presse. D’une certaine manière, nos débats ont ainsi précédé les événements. Le problème reste cependant largement ouvert. Les semaines et les mois qui viennent permettront de mieux apprécier l’efficacité – et les dangers – de l’arme économique. C’est dans cet esprit qu’il convient de lire les exposés de nos trois éminents orateurs, le compte-rendu des débats qui ont suivi et les conclusions provisoires que nous avons cru pouvoir dès maintenant dégager des derniers développements de la situation. ♦
(1) Voir l’étude de Marie-Elisabeth Cousin : « Les clubs internationaux, carrefour d’idées pour l’avenir de l’humanité » in Défense Nationale, décembre 1979.