Bomber Offensive
« La guerre de Whitehall », tel pourrait être le titre de la première partie du livre de Sir Arthur Harris. Un correspondant militaire d’un journal londonien avait déjà émis des critiques en 1942 sur le débarquement de Dieppe, déplorant que l’on n’eût point fait appel aux bombardiers pour appuyer l’action de l’Armée et de la Marine – mais ni l’Armée ni la Marine n’avaient demandé un tel soutien. Sir Arthur Harris se plaint de ce que, pendant vingt ans, l’Armée et la Marine aient cherché à supplanter la Royal Air Force (RAF). « Seul, Trenchard nous a sauvés », ajoute-t-il, et il range au nombre des ennemis du Bomber Command, – donc de l’Angleterre : la Royal Navy ; l’armée britannique ; la Luftwaffe ; l’administration civile ; les politiciens ; les sous-marins ; le ministère de l’Air, avec Sir Archibald Sinclair ; l’Economist ; la Suède et, en dernier lieu, l’armée allemande.
Harris, qui n’avait guère confiance dans la résistance française à l’agression, et prisait assez peu la Marine, ne voyait de salut possible que dans le recours à l’aviation. Il fait remonter à 1935 – c’est-à-dire au moment où l’on conçut les premiers bombardiers lourds – la naissance de la politique du bombardement stratégique. Selon lui, les bombardements effectués en 1941 et 1942 n’eurent que peu d’effet : en 1941, 1 appareil seulement sur 4 parvenait à moins de 8 kilomètres de son objectif, et, dans la Ruhr, cette proportion diminuait jusqu’à 1 sur 10. Cependant, cette période transitoire obligea les Allemands à laisser à l’Ouest des forces aériennes et des hommes – aidant en cela les Russes – et permit de préparer la grande offensive stratégique aérienne de 1943, décidée à la conférence de Casablanca. C’est l’année 1944 qui, à partir du premier trimestre, est, pour Sir Arthur Harris, le véritable critère de l’efficacité des bombardements stratégiques. Certes, il se peut que, sur certains points, les estimations de Sir Arthur Harris aient été exagérées : il considère, par exemple, que Hambourg avait été rasée alors que, cinq mois plus tard, la production – on le sait aujourd’hui – y était remontée à 80 % de son niveau initial. Il n’en reste pas moins que le rôle joué par l’aviation stratégique de bombardement fut considérable.
Avant de terminer son compte rendu, Sir Arthur Harris énonce un avertissement solennel et suggère d’examiner de près les plans de réorganisation des forces armées : « Le bombardier a vécu, dit-il. Il est maintenant démodé. » Et Sir Arthur prédit que le ministère de l’Air continuera à demander des bombardiers, et à suivre une politique de bombardiers, bien que ceux-ci ne répondent plus aux exigences de la guerre moderne. On peut douter de l’efficacité des bombardements stratégiques qui ne sont pas intimement liés aux actions terrestres ; mais la participation du Bomber Command aux opérations combinées fut un succès notoire. L’expérience de Sir Arthur Harris devait amener les autorités responsables de la Défense nationale à reconsidérer l’organisation actuelle de leurs services. Car Sir Arthur Harris estime à 10 000 livres le coût de l’entraînement d’un seul aviateur d’un équipage et note que l’effort de main-d’œuvre déployé pour exécuter le programme de production de bombardiers en 1943 a coûté autant que toutes les forces de terre. Et l’auteur termine sur cette conclusion : une fois suffit !