Les céréales, arme économique
J’ai peur et je ne vois pas comment le monde évitera des affrontements décisifs dans les trois ou quatre ans qui viennent. Non pas que, comme en 14-18 ou en 39-40, il y ait des pays qui veuillent expressément la guerre, mais parce que les occasions d’affrontements locaux sont multiples, le monde ayant perdu ses systèmes de régulation. Je ne ferai que les énumérer : système monétaire (il ne fonctionne plus comme il a fonctionné) ; l’équilibre de la terreur (un jour nous pleurerons sans doute le temps pendant lequel nous en avons bénéficié) ; la croissance elle-même qui apparaissait bénéfique à tous par sa dynamique, par l’entraînement qu’elle provoquait, par le fait que les uns s’enrichissaient sans doute plus lentement que les autres, mais s’enrichissaient tout de même ; elle est aujourd’hui compromise.
Tous les éléments qui, dans le passé, avaient pour résultat de ramener les choses à l’ordre antérieur ou à un ordre différent semblent avoir disparu ou semblent s’être déréglés. Je m’interroge même pour savoir si, sur le plan stratégique, nous ne sommes pas encore prisonniers d’un concept passé, celui de menace, alors que nous sommes entrés dans une période où le vrai concept est le risque. Jusqu’à une date récente l’origine de l’arme atomique possible était connue, l’axe de poussée était vraisemblable même s’il en existait deux ou trois, les cibles et les objectifs étaient identifiables. Tout le système de la dissuasion a été fondé sur le caractère en quelque sorte orienté de la menace et nous sommes sans doute à certains égards encore en train de raisonner comme si nous étions toujours dans ce système. En fait tout peut éclater partout et nous continuons à considérer qu’il y a un ennemi duquel peut venir l’initiative ou la riposte. Voilà le cadre dans lequel il convient d’analyser le problème très précis de l’arme céréalière, plus généralement de l’arme alimentaire.
Le monde a une vieille tradition de famine et, qu’on me permette de le dire, il a dormi avec la conscience en paix pendant des siècles sans se soucier outre mesure de la mort des autres. L’existence, quelque part dans le monde, d’hommes qui crèvent la faim n’a jamais empêché les riches de dormir. Ainsi, ce n’est pas l’existence de cette faim potentielle qui est en cause, c’est autre chose. Mais avant d’en parler essayons de voir ce qu’elle est.
Il reste 82 % de l'article à lire