Offiziere gegen Hitler [Officiers contre Hitler]
Lorsque le 4 mai 1945, Favian von Schlabrendorff fut libéré par les Alliés du camp de concentration où il se trouvait, il put se considérer, à juste titre, comme un « miraculé » à peu près seul survivant de ceux qui furent jugés pour avoir pris part au complot du 20 juillet 1944. (Le jour même où le Tribunal du peuple devait décider du sort de Schlabrendorff, un bombardement massif de Berlin obligea à lever la séance et le juge Freisler périt ce même jour dans les caves du Palais de Justice incendié, alors qu’il tenait encore à la main le dossier de l’accusé.)
Gero von S. Gaevernitz, Américain d’origine allemande, qui prit part avec Allen W. Dulles aux pourparlers de la capitulation sans condition de l’Allemagne, demanda à Schlabrendorff de noter les souvenirs des années qu’il venait de vivre, et ce sont ces souvenirs qui constituent le livre : « Officiers contre Hitler. »
Dans la préface, Gero von S. Gaevernitz, précise que Schlabrendorff entend ne fournir qu’une vue partielle des événements se contentant de relater ce à quoi il a été directement mêlé, et que son rapport ne saurait, en aucun cas, être tenu pour un essai de justification de l’attitude de l’armée allemande à l’égard d’Hitler.
Il nous semble alors d’autant plus gravement regrettable que ce livre, contre l’intention de l’auteur, par certaines omissions ou ignorances, en se contentant de relater le fait qu’ils prirent part à tel ou tel complot, laisse dans l’ombre l’énorme part de responsabilité de certains des conjurés dans la montée du national-socialisme et leur contribution active au succès d’Hitler, responsabilité si lourde d’ailleurs qu’ils comprirent eux-mêmes qu’ils ne pouvaient essayer de la racheter que par le sacrifice de leurs vies.
Cette réserve essentielle étant posée on ne saurait nier la qualité de l’intérêt que suscite un livre comme celui de Schlabrendorff.
Il donne dans une vue d’ensemble, un résumé concis, précis, de la lutte menée de 1938 au 20 juillet 1944, par les officiers d’État-major au sein de l’armée contre Hitler et les SS. Et parce qu’il vécut dans leur intimité, l’auteur sait faire revivre pour nous les grands chefs, Beck, Fritsch, Canaris, Treschkow, Witzleben, Olbricht, parmi tant d’autres.
L’auteur s’est volontairement refusé à toute description sensationnelle, à tout effet littéraire, on ne peut néanmoins s’empêcher de suivre ce récit avec un intérêt qui ne faiblit jamais ; soit que Schlabrendorff raconte comment, après de minutieuses préparations, il réussit à confier à l’aide de camp d’Hitler prenant place dans un avion spécial aux côtés du Führer, une bombe camouflée en un paquet de deux bouteilles de cognac, bombe qui n’éclata point, et dont on ne put éviter que de justesse la remise au destinataire fictif (13 mars 1943) ; soit qu’il narre les visites d’Hitler au Grand Quartier général ; soit dans le récit des événements de la veille et du jour même de l’attentat du 20 juillet ; soit enfin dans le récit du suicide de Treschkow, de celui de Beck, ou de l’exécution de Stauffenberg, Olbricht, Mertz von Quirnheim, et Haeften, dans la cour du « Kriegsministerium » dont, pendant quelques heures, ils s’étaient crus les maîtres.
Le récit enfin atteint un pathétique d’autant plus puissant que les termes sont d’une sobriété et d’une « correction » voulue, lorsque Schlabrendorff parle de la façon dont les conjurés furent traités par la Gestapo, des humiliations tant physiques que morales infligées par les jeunes subalternes de la police aux officiers supérieurs traînés et brimés comme des criminels de droit commun, lorsqu’il décrit les tortures infligées aux généraux dont on voulait obtenir des aveux, ou un reniement public et spectaculaire.
Récit passionnant de la lutte d’un jeune parti qui monte contre une vieille hiérarchie traditionnelle. Un ouvrage qu’il faut avoir lu, dont on pourra tirer plus d’un enseignement précieux et auquel il serait intéressant de comparer le compte rendu des séances des procès à l’issue desquels les conjurés furent condamnés à la pendaison.