L’Étrange défaite
Parmi les témoignages sur la dernière guerre, il n’en est pas de plus émouvant et de plus précieux que celui que nous devons à Marc Bloch, professeur à la Sorbonne, fusillé par les Allemands en juin 1944.
Grand historien du Moyen-Âge, celui-ci avait passé sa vie à étudier, avec une rigoureuse méthode, la société féodale et l’histoire rurale française. Il avait, avec Lucien Febvre, créé la Revue de synthèse historique, mais, en même temps, les hasards tragiques de notre histoire l’avaient fait participer, comme capitaine de réserve, à deux guerres successives où il avait récolté cinq citations. Il ne s’était pas, malgré son âge et ses charges de famille, dérobé à la seconde. C’est dire la valeur morale et intellectuelle de l’homme qui, en 192 pages, a cherché, avec une lucidité impitoyable, les causes de « l’étrange défaite ». Il fut appelé à un modeste mais excellent poste d’observation qui était celui de la Direction du Service des essences d’une armée. De là, il avait un champ de vision assez vaste pour se rendre compte à la fois des déplacements, des luttes de l’avant et des nécessités de l’arrière. Il n’est pas possible ici, dans notre cadre trop limité, d’énumérer la longue série de déficiences et d’erreurs constatées et exposées, par lui, avec une sûreté de vues propre à un historien de cette classe.
Ces erreurs militaires ont eu pour cause – Marc Bloch ne le dissimule pas non plus – une série de fautes civiles et civiques. « J’appartiens, avoue-t-il, à une génération qui a mauvaise conscience. »
Aucun parti n’est ici épargné. Ce savant, qui participa avec tant d’audace intrépide et tranquille à toute la résistance, et lui sacrifia sa vie, nous lègue à tous des souvenirs, et surtout des conseils qui ne devraient point être perdus.