Faiblesse de l’Allemagne
Parmi les livres que la crise allemande a fait naître, celui d’Albert Béguin est un des plus suggestifs. Albert Béguin joint, on le sait, à une vaste culture une connaissance approfondie de la littérature et des problèmes allemands. Son livre, qui est une sorte d’essai de psychologie politique de l’Allemagne d’avant-guerre, était pratiquement composé, le 1er juin 1940 et ce n’est pas un mince éloge à lui faire que de voir qu’il a, dans son ensemble, supporté, sans avoir besoin d’être remanié profondément, l’épreuve décisive de la guerre où s’est englouti le régime national-socialiste. Celui-ci portait, en effet, selon Albert Béguin, en lui des charmes d’irrémédiables faiblesses. L’auteur, qui ne dissimule, d’ailleurs, aucunement sa foi militante, rattache la solution du problème allemand à celle, plus générale, du problème européen et humain. Pour lui, la crise nazie ne pourra être dénouée que si l’humanité moderne répudie son culte de la matière, de la technique et de l’État et si nous pouvons donner naissance à un monde où l’Allemagne n’ait plus d’apparentes justifications pour se proclamer supérieure.
Véritablement prophétiques sont les pages où Albert Béguin fait l’analyse de la faiblesse réelle, où l’Allemagne, si dangereuse parût-elle, se complaisait inconsciemment. Celle-ci, au cœur de l’Europe, constituait une lourde force d’entraînement à l’abîme des fascinations par le néant. Si Albert Béguin s’oppose à l’illusion des « bons et des mauvais Allemands », s’il professe que nous avons, en réalité, affaire aux Allemands hitlériens parce qu’il n’y a pas d’autres Allemands, il ne dissimule point la nécessité de réhumaniser ces êtres entrés si profondément dans l’abjection et de les réintégrer dans une société humaine viable ; sinon, dit-il justement, tout sera perdu pour l’Europe. Les études religieuses incorporées en appendice à ce livre si riche, en dépit de son petit volume, sur la dissolution du protestantisme et le néopaganisme allemand méritent de rester classiques. Enfin, aucun de nous ne restera insensible aux émouvantes réflexions inspirées à l’auteur par un voyage dans le Vercors, terre du martyre et du sacrifice français.