Un des paradoxes de Verdun a été dans la supériorité du commandement français, avec une organisation qui s’est adaptée avec efficacité pour répondre aux défis d’une guerre longue. À l’inverse, le commandement allemand a pâti de son incapacité à évoluer, alors même qu’il constituait un des points forts des armées du Reich.
Verdun : comment la stratégie française s’est-elle montrée supérieure à l’allemande ?
Verdun: How did the French strategy appear superior than that of the German one?
One of the paradoxes of Verdun was the superiority of the French headquarter, with an organization which has adapted with efficiency to respond to the challenges of a long war. On the contrary, the German command has suffered because of its incapacity to adapt, although it was one of the strongest units in the armies of the Reich.
La victoire emblématique de Verdun a donné lieu depuis cent ans à une abondante littérature, essentiellement d’ordre mémoriel de la part des chefs comme des combattants, mais assez peu, au moins dans l’historiographie française, à des analyses de nature stratégique et tactique. C’est ce à quoi va s’atteler cet article (1).
Pourquoi le général von Falkenhayn, chef d’état-major impérial allemand a-t-il pris la décision d’attaquer à Verdun ? D’abord, et avant tout, pour reprendre l’initiative stratégique aux Français, dont les offensives conjuguées en Champagne et en Artois de septembre 1915 n’avaient pas été couronnées du succès espéré. En outre, la Direction suprême allemande estimait qu’à l’Est, l’armée tsariste, sérieusement défaite mais non détruite par la campagne de 1915 qui l’avait vue reculer partout, ne constituerait pas une menace sérieuse au cours de l’année 1916 ; ce en quoi le commandement allemand commettait une grave erreur d’appréciation qui se révélera fatale. Puis, comme le Royaume-Uni venait de se résoudre à adopter la conscription, il importait que l’Allemagne frappât vite sur le front Ouest, avant la montée en puissance de l’armée britannique. Mais, compte tenu des disponibilités allemandes, une grosse vingtaine de divisions en réserve générale à la disposition de l’OHL (Ober Herres Leitung, le GQG allemand), Falkenhayn ne pouvait raisonnablement pas envisager une offensive de rupture visant à une bataille décisive en rase campagne. C’est la raison pour laquelle, il s’est résolu à recourir à un mode opératoire d’usure : il lui fallait attaquer avec suffisamment de puissance un point du front hautement symbolique pour les Français afin que ceux-ci décident de le défendre et, dans ce but, d’y engager leurs réserves dans des contre-attaques consommatrices d’effectifs. L’objectif allemand visait donc à annihiler totalement la capacité de manœuvre de l’armée française en détruisant ses réserves, faute desquelles elle se verrait contrainte à demander grâce (2). Après avoir envisagé un court moment une attaque sur Belfort, Falkenhayn fixe son choix sur Verdun.
Si l’idée de Falkenhayn était assez juste en soi et même tout à fait cohérente, sa réalisation s’est trouvée mise en échec par les mesures prises d’emblée par le commandement français et notamment par Pétain. Le commandant de la 2e armée s’est rendu compte immédiatement du risque d’usure couru par l’armée française à Verdun si on se contentait de la renforcer par des grandes unités puisées au sein de la réserve générale. Il a réussi à imposer à un GQG assez récalcitrant le système de la « noria » : dans l’architecture de commandement de l’armée de Verdun, seul le niveau du corps d’armée serait permanent. En dessous, les unités tourneraient selon un rythme tel, qu’elles étaient assurées de se trouver relevées avant d’avoir atteint un taux d’usure rédhibitoire. Par ce biais, le but stratégique de Falkenhayn se trouvait contré. En dépit de pertes énormes, de l’ordre de 350 000 tués, l’armée française ne succombera pas sous un effet d’usure et aucune grande unité ne sera dissoute (3).
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