La désintégration de la Syrie et de l’Irak au profit d’un proto-État, l’État islamique, remet en question de nombreuses certitudes, en particulier pour le mode de pensée français se référant au concept d’État-Nation. La revendication identitaire de Daech est d’un autre ordre et obéit à des ressorts politiques et culturels de nature fondamentalement différente.
De quoi l’État islamique est-il le non ?
Of What is the Islamic State the Antithesis?
The disintegration of Syria and Iraq to benefit a proto-state, the Islamic State, brings into question numerous certitudes, particularly concerning the French mode of thinking referring to the concept of the Nation-State. The Daech’s demand for identity is of another order, and obeys political and cultural motivations of a fundamentally different nature.
Obnubilés par les discours officiels des uns et des autres, sidérés par la cruauté soigneusement mise en scène de l’État islamique, nous considérons trop souvent comme exclusifs les buts ultimes, qu’on n’ose qualifier d’idéaux, du califat autoproclamé : la domination de l’islam sunnite, dans sa variante salafiste et agressive, sur l’ensemble du monde musulman et, pourquoi pas, son extension aux confins du monde habité. Et certes, les divers foyers de sédition qu’on constate dans la péninsule du Sinaï égyptien ou sur le rivage de Syrte en Libye, tout comme les ralliements d’entités autonomes comme Boko Haram en Afrique occidentale, ainsi que les actes terroristes commis en son nom, en Europe ou en Amérique du Nord, donnent l’impression d’une activité et d’une emprise mondiales de l’État islamique, renforçant l’idée d’une organisation criminelle ubiquiste à l’image d’Al-Qaïda.
Il nous semble qu’il s’agit là, par commodité de raisonnement et assimilation trompeuse, d’une erreur d’analyse et qu’il faut prendre au pied de la lettre la revendication originelle de cette organisation qui, dès sa création en 2006, s’est nommée « État islamique d’Irak » (1), puis, à partir d’avril 2013, « État islamique en Irak et au Levant » (2), se donnant ainsi pour une structure à caractère étatique tout en qualifiant sa nature confessionnelle et son implantation géographique. Après ses conquêtes en Irak septentrional et la proclamation du califat par son chef Abou Bakr Al-Baghdadi, il devient le 29 juin 2014 « État islamique », signifiant par là ses prétentions à régenter l’ensemble du monde musulman sur un territoire désormais indéfini.
Mais, par-delà les circonstances historiques qui ont vu sa naissance au Proche-Orient et sans préjuger qu’il puisse réaliser un jour ses desseins mondiaux, il nous faut comprendre les buts immédiats qui sous-tendent l’action de ce « proto-État » (3) et la nature précise des relations que ce pouvoir, qui se veut théocratique et absolu, entretient avec les populations dans l’espace géographique qu’il contrôle.
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