Dans les coulisses de la diplomatie française - De Sarkozy à Hollande
Dans les coulisses de la diplomatie française - De Sarkozy à Hollande
Ancien rédacteur en chef à RMC et BFM, Xavier Panon qui a été éditorialiste au quotidien La Montagne livre un récit complet, fort bien enlevé sur la politique étrangère de la France de 2007 au début de 2015, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et la première partie du mandat de François Hollande. Il s’inscrit là dans la veine d’Albert du Roy ou d’Hubert Coudurier, utile pour sauvegarder une mémoire de l’action présidentielle sur le terrain de la diplomatie, de la stratégie, de la défense et de la politique européenne.
L’ouvrage comprend quatre parties qui reprennent : l’affrontement de style entre les sixième et septième chefs d’État de la Ve République ; les conflits dans lesquels la France s’est trouvée engagée (Géorgie, Côte d’Ivoire, Libye, Afghanistan, Irak-Syrie, Mali, Centrafrique) ; les questions européennes ; les grands dossiers bilatéraux (États-Unis, Russie, Chine, Japon, Inde, monde arabe, Golfe, Israël, Iran, Algérie, Maroc, Afrique subsaharienne). Un véritable tour de force, car dans chacun de ces dossiers l’information est abondante et bien ordonnée.
L’originalité vient naturellement de la comparaison entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, dont il ressort les oppositions les plus saillantes, alimentées par les témoignages des nombreux conseillers respectifs, mais également les continuités qui datent même d’époques antérieures à leur accession à la présidence. Nicolas Sarkozy avait déjà entamé une relation de proximité avec l’Arabie depuis novembre 2009 ; Jacques Chirac, comme Premier ministre en 1974 puis comme Président en 1995, s’était déjà rapproché du Qatar.
Nicolas Sarkozy et François Hollande ont déployé deux styles très différents sur le terrain diplomatique. D’un côté, dans le genre plutôt « direct », Sarkozy, « l’atlantiste et l’occidentaliste », transgresseur du gaullisme, fait la leçon à Barack Obama, renoue avec Bachar el-Assad en 2007 et Mohamar Kadhafi avant de rompre avec eux. Il bataille dans la crise financière mondiale. Et surtout s’empare résolument du dossier géorgien en août 2008, couronné par le plan de paix du 12, certainement son succès principal. Son conseiller diplomatique Jean-David Levitte n’a-t-il pas avoué que cette période fut la plus intense de sa vie diplomatique, pourtant bien fournie.
De l’autre, Hollande, sorte d’urgentiste adepte de la « câlinothérapie diplomatique », entre ventes du Rafale et retrait des Mistral, est confronté à l’activisme de Vladimir Poutine et au lâchage d’Obama à l’été 2013, lorsqu’il s’abrite derrière le Congrès pour ne pas avoir à frapper la Syrie après l’emploi massif par celle-ci de l’arme chimique qui aurait provoqué la mort de plus de 1 500 personnes dans la banlieue de Damas. François Hollande, que l’on avait accusé de tergiversation, s’impose en chef de guerre contre Aqmi au Sahel, en janvier 2013 et Daech en Irak, en septembre 2014. La décision d’engager les forces armées en Afrique, fut, dit-il, « la décision la plus importante de sa vie politique ». Il a bien été servi depuis, au point de se muer en véritable président de guerre. Contre Bachar el-Assad aussi, en livrant secrètement peu après son élection, et malgré l’embargo, des armes à certains rebelles qu’il fut le premier dirigeant occidental à reconnaître et à réunir à Paris sous le vocable de l’Alliance syrienne.
Le mélange de rappels documentés de ces diverses situations géopolitiques, dossier par dossier, et d’anecdotes sur la politique conduite par la France, retranscrit bien cette ambiance décousue, dictée par les changements de priorités incessants au fil de l’actualité internationale, qui caractérise la pratique de la politique étrangère au XXIe siècle.
Xavier Panon a abondamment interrogé les principaux protagonistes de ces politiques, conseillers spéciaux et diplomatiques, plusieurs ministres, et François Hollande lui-même peu avares de confidences ; les temps changent. Cette méthode d’enquête a cependant son revers : en choisissant de retranscrire les informations données par les acteurs de la politique ainsi chroniquées, la critique et même le recul deviennent plus difficiles. Ils ne sont pas absents toutefois, et plusieurs incohérences ou valse-hésitation, de chacune des deux équipes au pouvoir, sont soulignées. Cette proximité des acteurs a par ailleurs le mérite de faire vivre la diplomatie française, mettant en lumière le travail difficile des équipes (comme Jean-David Levitte sous Sarkozy, Romain Nadal sous Hollande), et des ambassadeurs.
On aurait aimé un peu plus de synthèse, plus de transversalité, plus de décryptage. On peut aussi regretter que certains dossiers n’aient pas été approfondis (l’Otan, l’Afrique…). Mais il est vrai que cela aurait transformé son livre en véritable pavé. Celui-ci est clair, précis, détaillé, et se lit comme un roman, l’enquête est minutieuse, et la fresque de la politique étrangère de ce début de XXIe siècle est réussie. Certes, en journaliste diplomatique, Xavier Panon a plus fréquenté l’Élysée, le Quai d’Orsay voire Matignon, que les universités, les think tanks ou les ONG, mais tel fut son angle d’approche ; l’électeur pourra compléter.
Les nombreux faits et confidences « off » des principaux acteurs diplomatiques-militaires de la France, dont François Hollande, Laurent Fabius, Jean-Yves Le Drian, Bernard Kouchner, Claude Guéant et Jean-David Levitte, introduisent le lecteur au cœur des négociations au sommet. Elles illustrent les rapports différents de Sarkozy et Hollande avec Angela Merkel, comme avec Washington, le Qatar ou l’Arabie saoudite. Entre continuité et volonté de se démarquer, Sarkozy et Hollande offrent le spectacle de deux présidents qui se livrent une véritable « guéguerre » diplomatique, tout en se voulant porteurs de valeurs « universelles » et d’un rôle mondial pour la France de « Charlie ».
Notre pays compte encore beaucoup sur la scène internationale, surtout si on le compare à la Grande-Bretagne qui semble traverser une véritable éclipse, ou même à l’Allemagne, qui refuse d’employer les moyens de la force, même si celle-ci s’avère souvent inopérante. ♦