La doctrine militaire russe a évolué, prenant en compte les leçons des crises, notamment au Kosovo. La modernisation des forces s’inscrit dans cette perspective en évitant d’entrer dans une course technologique avec l’Otan et en développant le concept de « guerre sans contact ».
La pensée militaire russe : « Guerre sans contact, guerre sans victoire »
Russian Military Ideas: “War Without Contact, War Without Victory”
Russian military doctrine has evolved, taking into account lessons from crises, notably in Kosovo. The modernization of its forces falls in line with this perspective, while avoiding entrance into a technological race with NATO, and while developing the concept of “War Without Contact.”
Avec l’annexion de la Crimée, l’ingérence dans l’Est de l’Ukraine et l’intervention militaire en Syrie, la Russie s’est imposée avec force sur l’échiquier international. Cette assertivité retrouvée est en contraste frappant avec la timidité dont la Fédération russe faisait preuve pendant la première décennie de son existence, notamment en ce qui concerne le règlement du conflit en ex-Yougoslavie. En fait, les objectifs russes pendant ce conflit étaient tellement modestes que selon Vitaly Tchourkine – l’émissaire personnel de Boris Eltsine dans les Balkans – ils se limitaient « aux efforts pour éviter l’humiliation nationale de la Russie » (1).
La question est de savoir comment l’augmentation de l’assertivité militaire et diplomatique russe a pu se produire. Le présent article cherche la réponse à cette question dans l’évolution de la pensée militaire russe au cours des deux dernières décennies. Cette évolution a mis fin au concept soviétique de la guerre comme confrontation massive terrestre. Elle culmine dans la rédaction de la doctrine militaire russe de décembre 2014 qui donne une vision peu orthodoxe mais innovatrice sur le règlement des conflits armés modernes.
Le point de départ de cette évolution a été une analyse pointue et honnête de la guerre du Kosovo. Après l’opération militaire Force Alliée contre les centres du pouvoir de Slobodan Milosevic en 1999, les autorités politiques et militaires russes étaient en état de choc. En 78 jours, une opération purement aérienne, ciblant principalement des sites économiques et des centres politiques et administratifs serbes, faisait plier le régime de Slobodan Milosevic. L’opération a eu lieu malgré l’opposition du président Boris Eltsine, ce qui résultait en une double humiliation de la Russie ; à la fois diplomatique et militaire. Sur le plan diplomatique, la Russie n’avait pas pu faire valoir son droit de veto dans le Conseil de sécurité de l’ONU parce que l’Otan avait décidé de recourir à la force en dehors du mandat des Nations unies. En outre, Boris Eltsine n’avait pas pu s’imposer comme véritable médiateur parce que les Serbes – conscients du manque d’influence de la Russie sur la position de la communauté internationale – avaient refusé de prendre en compte les appels russes à la raison et à la modération (2). Sur le plan militaire, les tentatives des forces armées russes pour établir une zone de contrôle exclusive au nord-est du Kosovo (où vivaient la plupart des Serbes au Kosovo) avaient échoué. D’une part, le petit contingent russe stationné en Bosnie dans le cadre de la SFOR et qui avait pris d’assaut l’aéroport de Pristina avant l’arrivée des forces aéromobiles de l’Otan, avait été facilement isolé par des blindés britanniques qui étaient arrivés quelques jours plus tard. D’autre part, les autorités bulgares avaient refusé d’autoriser le survol de leur territoire par les avions russes qui avaient comme mission d’apporter le renfort au contingent isolé.
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