Extension du domaine de la guerre. Après les attentats, comment affronter l’avenir
Extension du domaine de la guerre. Après les attentats, comment affronter l’avenir
Journaliste de défense et consultant pour les chaînes d’information, Pierre Servent connaît bien l’institution défense et l’apprécie. Observateur avisé, mais aussi acteur engagé notamment comme réserviste, il a suivi nos forces sur tous les théâtres d’opérations depuis des années et en a tiré plusieurs ouvrages. Le titre de sa dernière production peut surprendre mais reflète la réalité géostratégique actuelle.
N’en déplaise à certains idéologues croyant encore aux dividendes de la paix ou à l’union des Bisounours, la fin de l’Histoire n’est pas arrivée et la guerre est redevenue un mode de régulation entre les sociétés humaines, ce que l’Europe avait cru oublier avec la fin de la guerre froide, dans la mesure où l’épisode balkanique avait été considéré alors comme anachronique et vestige de la confrontation Est-Ouest. Ainsi, il était devenu récurrent d’affirmer avec une foi confondante que nous n’avions plus d’ennemi. Au mieux, des menaces et des risques que l’on saurait habilement contenir au loin de nos frontières. La guerre selon les critères westphaliens n’avait plus lieu d’être. Du moins en Occident. Car ailleurs, la guerre n’a jamais vraiment cessé dans l’arc de crise notamment décrit dans le Livre blanc de 2008, même si elle a pris désormais des formes hybrides alliant l’hyper-terrorisme (type 11 septembre), la barbarie des assassinats en masse pratiqués par Daech, ou désormais la violence aveugle et indiscriminée contre notre modèle républicain avec les attentats de janvier et de novembre 2015. Et de fait, si l’opinion publique découvre avec effroi cette réalité, il y a des années que la menace couvait et que nos armées, nos services de renseignement et nos forces de sécurité y étaient confrontés dans de nombreux théâtres, y compris sur le sol national.
La réflexion de l’auteur s’organise en trois parties permettant de comprendre que la situation actuelle n’est que la conséquence de la dégradation constante du paysage international, en particulier pour le monde arabo-musulman dont la plupart des transitions ont échoué, y compris les Printemps arabes de 2011. Certes, l’Occident a sa part de responsabilité, en particulier avec la désastreuse invasion de l’Irak en 2003. Mais les pays du Levant doivent admettre aussi leur incapacité à répondre aux aspirations de leurs populations pour qui le concept d’État-nation imposé – en particulier avec les Accords de Sykes-Picot de 1916 – ne représente rien. Le monde d’aujourd’hui – titre de la deuxième partie – se caractérise ainsi par la renaissance des fondamentalismes, en particulier de l’islamisme djihadiste. Le salafisme se veut conquérant, et sans esprit de discussion. L’asservissement ou la mort ! Et cela avec des acteurs régionaux aux ambitions complexes, censées s’appuyer sur des antagonismes religieux historiques, instrumentalisant notamment la confrontation chiites-sunnites.
L’affrontement imposé par Daech n’est que la énième conséquence de cette crise du monde arabe, après l’échec du nationalisme incarné par Nasser, les guerres civiles comme en Algérie durant la décennie noire des années 1990, les attentats du 11 septembre 2001, les guerres en Afghanistan puis en Irak… La liste des échecs est longue et a conduit à une immense frustration politique et sociale désormais exclusivement régulée par la violence et l’intolérance. Avec une conséquence déjà ancienne mais qui ne cesse de s’aggraver, en important ces conflits en Europe et en France, en particulier. À cet effet, le terrorisme islamiste n’est pas une nouveauté pour notre pays, hélas habitué à subir ces attaques, mais aussi qui a pris conscience que cette déstabilisation nécessiterait une réplique militaire. Après avoir caressé en 2012 l’espoir de diminuer notre engagement militaire – pour des raisons idéologiques et budgétaires – force est de constater que depuis janvier 2013 avec l’opération Serval, puis avec les attentats de 2015, il y a eu une prise de conscience et un changement radical des autorités. Aujourd’hui, la défense et la sécurité sont redevenues de vraies priorités avec notamment l’arrêt des déflations des effectifs militaires. En effet, le feu est là, dans la maison Europe et menace d’embraser notre société et ses modes de fonctionnement.
Comme le montre en effet la troisième partie, le principe même de la démocratie à l’occidentale est remis en cause et combattu d’un côté par Daech, mais également par certains pays proches de l’Europe comme la Turquie ou la Russie où l’autoritarisme allié au national-populisme est devenu le modèle politique. Désormais, seul le rapport de force – s’appuyant sur des capacités militaires – semble réguler les relations internationales dans l’Arc de crise et en Asie avec les ambitions navales de la Chine. L’éventail des menaces s’est hélas élargi et touche tous les milieux – terre, air, mer, Espace – et maintenant le cyber, obligeant à pouvoir disposer des capacités pour se défendre. Cela signifie pour l’Europe de voir la réalité en face et de revoir à la hausse les budgets de défense. Il est sûr que les récents attentats de Bruxelles (le 22 mars 2016, l’ouvrage étant paru en janvier) risquent de constituer un électrochoc pour des pays qui avaient baissé la garde.
L’avenir est plus qu’incertain et les dangers sont polymorphes, ciblant désormais notre société dans sa globalité. Il est urgent non seulement de réagir mais bien de comprendre que la guerre – ou les guerres – ne nous épargnera pas. Pierre Servent souligne qu’il faut du courage et de la lucidité pour faire face. Il est à souhaiter que la défense et la sécurité soient une vraie priorité pour notre pays, en particulier dans les mois à venir avec l’élection présidentielle de 2017. ♦