Dans les cadres de la domination coloniale, la mise en place lente des dispositifs multiformes de renseignement étatique français – renseignement militaire et policier, renseignement économique et administratif – dès les prémices de son imposition, ne peut se dissocier de leur greffe sur des réseaux préexistants d’informations et de communications ⁽¹⁾. Vécu avant tout au travers de deux dimensions complémentaires, la surveillance politique et le contrôle social des populations colonisées, ainsi que le maintien de l’ordre, le renseignement colonial français dépasse la définition, les activités et les méthodes traditionnelles du renseignement.

En situation coloniale, le renseignement garantit les forces politiques, économiques et sociales de l’État en formation, les maintient et les développe. Il a pour défi majeur d’assurer et de prévenir l’ordre et la sécurité locale, d’asseoir le développement économique de l’entreprise coloniale et de concourir à la survie de l’État colonial. Cette spécificité coloniale et impériale franchira les frontières des transitions historiques, coloniales et postcoloniales, pour caractériser les systèmes de renseignement des États africains de l’ancien « pré carré » français, nouvellement indépendants, exclusivement dédiés au maintien au pouvoir des dirigeants et au contrôle intérieur strict et autoritaire des populations.

Le tournant des années 1990-2000 semble infléchir la politique africaine du renseignement extérieur français vers le suivi des processus de démocratisation initiés par le discours de La Baule en juin 1990, les enjeux énergétiques stratégiques et une focalisation accrue envers la menace islamiste ; cette dernière devenant dans le courant des années 2000 « La » grille d’analyse prioritaire. Mais revenons sur quelques éléments de généalogie pour décrypter le renseignement français en Afrique.