Peacekeeping in Africa. The evolving security architecture
Peacekeeping in Africa. The evolving security architecture
Les articles et ouvrages sur le maintien de la paix ne sont pas légion. Depuis le début des années 1990, le nombre d’articles ou d’ouvrages académiques sur le sujet se multiplie, rejoints ces dernières années par des travaux sur l’architecture de paix et de sécurité en Afrique (Apsa). L’ouvrage de Thierry Tardy et Marco Wyss s’inscrit dans cette ligne.
Les dernières interventions militaires en Afrique suivies d’opérations de maintien de la paix ont démontré à quel point le sujet était en constante évolution. Selon Megan Gleason-Roberts et Alischa Kugel, nous traversons « a pivotal time ». Le continent africain apparaît comme un laboratoire pour tester les différentes dimensions du maintien de la paix. Il serait l’« epicentre of peacekeeping » selon les auteurs de l’ouvrage. D’une part, parce qu’il accueille le plus grand nombre d’opérations et de personnel civil et militaire de l’Organisation des Nations unies (ONU), d’autre part, le nombre d’acteurs non onusien est en constante progression (UA, EU, CER, non gouvernementaux, États). Les expériences du Mali et de la République centrafricaine montrent qu’une réponse hybride se dessine. Différents acteurs interviennent, pas nécessairement successivement mais conjointement. Ces évolutions sont autant de défis pour les acteurs africains du maintien de la paix qui sont devenus, selon les auteurs : « real stakeholder ». Elles ont des conséquences normatives et pratiques indéniables.
Au début des années 2000, un nouveau principe a émergé « Try Africa first » : « Les solutions africaines avant tout ». La nécessité de solutions endogènes aux crises et conflits africains est collectivement assumée. Le rôle dévolu à la régulation par la région est essentiel et devient une pièce maîtresse du système. En effet, l’architecture de sécurité continentale prend appui sur les sous-régions afin de gérer la conflictualité. L’ONU a également favorisé ce régionalisme en donnant la possibilité aux organismes régionaux d’assurer le maintien de la paix encadré par le chapitre VIII de la Charte des Nations unies, une « nouvelle division internationale du travail » (1) en somme. Cette construction d’une architecture de paix et de sécurité est de ce fait un projet qui s’inscrit dans le temps long des grands projets historiques. Le sujet intéresse donc les universitaires au-delà des aspects techniques du processus. C’est l’ambition de l’ouvrage présenté ici. Ce travail regroupe dix-sept chercheurs et offre une analyse riche des évolutions et des défis du maintien de la paix en Afrique dans le contexte de la construction d’une architecture de paix et de sécurité.
L’ouvrage est divisé en trois parties afin de présenter les évolutions institutionnelles, l’implication de nouveaux acteurs et quelques cas d’études. Dans un premier temps, les auteurs analysent l’évolution des opérations de maintien de la paix sur le continent africain, puis celle des opérations menées par des Africains au Burundi, au Soudan et en Somalie. Le panorama dressé par les premiers chapitres met en parallèle l’évolution des conflits sur le continent, des opérations de maintien de la paix de l’ONU et l’africanisation des opérations. Leurs conclusions sont connues. La cohérence et la coordination doivent être renforcées dans une période de contraintes budgétaires et où les initiatives ad hoc se multiplient. Sont également traitées dans cette partie l’approche européenne du maintien de la paix et la question centrale du financement des opérations. Ce dernier point pose le problème de l’appropriation, après l’africanisation, des opérations et donc de l’autonomie. Le schéma actuellement retenu – financement des opérations par les bailleurs extérieurs – n’est pas tenable sur la durée. La recherche d’autres solutions est essentielle et régulièrement à l’ordre du jour des Sommets et forums internationaux. Dans le chapitre consacré à cette problématique, David Ambrosetti et Romain Esmenjaud étudient quatre modes de financement et s’interrogent sur la volonté des Africains à être autonome dans le domaine de la gestion des conflits. Ils ouvrent un agenda de la recherche pour des travaux en économie politique des opérations de paix et ce que cela nous révèle des politiques des États africains.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux politiques de la Chine, de l’Inde et de la France. L’implication de la Chine dans le maintien de la paix est étudiée comme une tentative d’influence d’un système onusien dont elle se sent exclue au profit des États-Unis qui l’utiliseraient à ses fins. Une position en partie partagée par l’Inde qui ne veut pas que les opérations de l’ONU soient un « cheval de Troie » des puissances occidentales. En revanche, la France a une approche parfois ambiguë comme la crise ivoirienne l’a montrée. Son intervention a été rendue nécessaire par le manque de moyens des instances continentales et de l’impasse politique.
La dernière partie rassemble un ensemble de cas d’études. Elle aborde à la fois le rôle des voisins régionaux dans la persistance d’une crise et dans le même temps leur engagement dans la résolution de celle-ci, notamment en RDC et en Somalie. Dans le cas du Mali, on comprend l’hybridité de la réponse qui se dessine avec les difficultés des interactions entre une organisation régionale comme la Cédéao, l’UA et l’ONU. L’importance de la compréhension des acteurs et du contexte local est rappelée avec l’exemple congolais. Le chapitre suivant analyse les difficultés à établir un cadre normatif, notamment avec la « Responsabilité de protéger », au Darfour.
L’ensemble de l’ouvrage apporte une réflexion stimulante sur la pratique des interventions de paix en Afrique. L’originalité de cette étude est de ne pas se focaliser uniquement sur l’ONU et de proposer une analyse globale qui inclue aussi bien les acteurs africains que les nouveaux acteurs étatiques et les plus traditionnels. La conclusion est classique. L’enjeu de moyens est politique tant pour les Africains que pour les acteurs exogènes, qu’ils soient étatiques ou institutionnels. La légitimité de chaque acteur est questionnée directement ou implicitement dans toutes les contributions. Il s’agirait d’une part, d’interroger ce que cette extraversion du maintien de la paix en Afrique nous révèle des acteurs extérieurs au continent et de leurs intérêts, et, d’autre part, aussi des États africains et des élites au pouvoir. ♦
(1) Mélanie Cathelin : « Le rôle international d’un État : construction, institutionnalisation et changement. Le cas de la politique canadienne de maintien de la paix en Afrique », thèse de doctorat (sous la direction de Daniel Compagnon), Université Montesquieu Bordeaux IV-IEP Bordeaux, décembre 2008.