La défense de la France mérite un effort majeur et durable pour redresser la situation et donner à nos armées les ressources nécessaires pour faire face aux menaces. Il doit y avoir une vraie ambition et de vrais choix passant par un engagement politique décisif.
Question de défense
The question of defense
Defense of France deserves an important and long-term effort to redress the situation and give our armies the necessary resources to cope with threats. One should have a genuine ambition and true choices by a decisive political engagement.
Pour la première fois depuis des décennies, nous sommes confrontés au retour de la violence et des menaces directes sur notre sécurité. Face à celles-ci, la France est vulnérable. Vulnérable, parce que nous avons repoussé pendant des années le renforcement nécessaire des moyens humains et matériels. Vulnérable, parce que les alliances censées nous protéger – politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et Otan – présentent des faiblesses politiques ou militaires. Vulnérable, parce que les armées ont progressivement disparu de l’horizon visible des Français, et avec elles, le sens de l’engagement, de la résilience et de la cohésion nationale.
Nous avons d’abord à proximité de notre environnement immédiat la dislocation des États, notamment au Moyen-Orient, qui est la conséquence directe des choix qui ont été faits en 2003 par l’Administration républicaine aux États-Unis. Et je n’oublie pas, pour avoir œuvré pendant des mois aux côtés de Jacques Chirac et de Dominique de Villepin pour nous opposer à la guerre en Irak, et nous avions averti que l’enfant monstrueux de celle-ci serait le terrorisme.
Nous voyons bien aussi dans notre environnement plus large que la Russie a choisi de se réarmer. La Chine, de son côté, représente désormais le deuxième budget militaire mondial. Russes et Chinois développent des systèmes d’armes de plus en plus complexes qui pourraient poser de véritables problèmes à nos forces armées et limiter notre liberté d’intervention.
Dans le même temps, nous avons baissé la garde sur nos investissements de défense, nous sommes désormais au bord de la rupture.
Le choix politique que je souhaite porter est celui d’un soutien massif à nos armées. Je veux que nous leur redonnions les moyens de la puissance pour garantir notre protection face à ces menaces nouvelles. J’ajoute que ce choix politique est aussi un vrai choix culturel. La France est son armée. L’Histoire de notre pays s’est toujours confondue avec celle de ses armées. La France est forte quand ses armées sont fortes. La France est grande quand ses armées ont la capacité de protéger les Français et de porter son message politique au-delà de ses frontières. Je rappelle également qu’avec le Brexit, la France sera bientôt la seule puissance nucléaire militaire de l’Union européenne et le seul membre permanent de l’UE au Conseil de sécurité des Nations unies. Nous devons être à la hauteur de ces responsabilités.
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Donnons à nos forces armées les équipements et les hommes dont elles ont impérativement besoin. Le budget de la défense doit être augmenté de 1,4 % à 2 % du PIB sur dix ans (hors budget des anciens combattants et pensions). Cela portera notre effort annuel de 32 Md€ à environ 60 Md€. Cette augmentation devra se faire en deux temps : une nouvelle loi de programmation militaire dès 2017, une autre à la fin du quinquennat. Une durée moindre ne permettrait pas de traduire dans les faits un tel saut qualitatif et quantitatif.
S’agissant de l’Armée de terre, le constat est unanime : les forces terrestres s’usent. Son entraînement est fortement réduit depuis le déclenchement de l’opération Sentinelle. L’ampleur des déploiements actuels ne lui permettrait, en outre, pas d’intervenir dans un nouveau théâtre d’opérations.
J’estime donc indispensable d’augmenter la force opérationnelle terrestre (FOT) de 30 000 hommes, sur les dix prochaines années, pour la passer de 77 000 à 107 000 hommes. Très concrètement, cela pourrait représenter une division Scorpion de 20 000 hommes, une brigade aéroterrestre de 4 000 hommes, des forces spéciales de 1 000 hommes et le renforcement des commandements spécialisés de 5 000 hommes. J’estime également indispensable, à l’efficacité opérationnelle de nos armées et à la sécurité de nos soldats, d’accélérer le renouvellement du parc militaire.
S’agissant de la Marine nationale, mes choix sont là aussi très clairs, la France n’est pas une petite nation continentale, elle doit être une grande puissance maritime ! Je souhaite que nous puissions acquérir au plus vite cinq patrouilleurs hauturiers pour l’action de l’État en mer, car la Marine sait avoir les moyens de garantir la protection de notre espace maritime. Je souhaite également que nous renforcions les capacités anti-sous-marines par l’acquisition de trois frégates multimissions (Fremm) supplémentaires et six frégates de taille intermédiaire (FTI) en mesure de couvrir tout l’éventail des missions.
Il est aussi nécessaire de prévoir l’avenir avec le lancement des études pour la production industrielle d’un nouveau porte-avions. Le Charles-de-Gaulle connaîtra en 2017 son deuxième arrêt technique majeur qui le rendra indisponible pendant une vingtaine de mois. Avoir un porte-avions qui n’est disponible qu’occasionnellement en fonction de ses arrêts techniques et non en fonction des menaces qui pèsent sur la sécurité des Français est incompréhensible. Un porte-avions n’est pas un colifichet, c’est un élément majeur de notre capacité à projeter notre puissance et nous avons pu apprécier son utilité depuis le déclenchement de l’opération Chammal.
Nous devons poursuivre la politique d’équipement en Rafale. Il est indispensable que les capacités de l’Armée de l’air puissent être augmentées. Il faut générer l’activité opérationnelle et l’entraînement nécessaire, tout en compensant dans le même temps l’usure et l’attrition de flottes, dans un contexte de forte sollicitation et d’un durcissement probable du contexte stratégique. Nonobstant les difficultés et retards liés à certains programmes, l’Armée de l’air doit pouvoir compter sur des moyens complémentaires en matière de transport tactique, tout en tenant compte de la complémentarité qui peut exister avec les forces allemandes. À l’instar des autres grandes puissances aériennes militaires mondiales, elle doit enfin être dotée de capacités de transport lourd héliporté, pour la manœuvre dans la profondeur.
La clé de voûte de la défense française est sa dissuasion nucléaire. Je crois en la nécessité absolue de conserver cet ultime argument pour notre sécurité. Elle est le noyau de notre indépendance. Sans dissuasion nucléaire, il n’y a plus de parole politique qui porte autant au Conseil de sécurité des Nations unies. Je veux donc que nous maintenions les deux composantes de notre capacité de dissuasion nucléaire, sous-marine et aéroportée, qui tirent tout notre outil de défense vers le haut. Je soutiendrai la poursuite des travaux sur la modernisation de nos technologies, avec les Américains et les Britanniques. En dépit du Brexit, la Grande-Bretagne reste un partenaire majeur en matière de coopération de défense.
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Ce renforcement des forces armées doit évidemment être mis au service d’une vision de notre politique étrangère, de nos alliances et du cadre stratégique dans lequel nous évoluons.
Nous sommes membres de l’Alliance atlantique. Celle-ci est une alliance de guerre froide dans un monde de paix armée entre les États-Unis et la Russie. Cela explique la difficulté que pose le recours à l’Otan, car à chaque fois que nous l’utilisons, nous envoyons politiquement le message d’un retour à la guerre froide. Sans remettre en cause le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan, elle doit pouvoir peser davantage sur les décisions politiques et y donner une empreinte différente. Qu’elle ne le fasse pas seule, mais avec tous les autres États européens sans jamais transiger sur le principe essentiel de l’indépendance de ses décisions militaires.
En matière européenne, si nous voulons vraiment peser à côté ou au sein de l’Alliance atlantique, encore faut-il que les Européens se réveillent et comprennent que le temps de la paix universelle n’est pas encore venu. Les pays européens doivent ouvrir les yeux et comprendre que personne ne leur garantira leur sécurité à leur place. La déstabilisation au Moyen-Orient est notre problème, la menace terroriste est notre problème. Les actions de la Russie peuvent devenir notre problème. Ne nous abritons pas derrière des boucliers politiques qui ont disparu. Nous sommes, nous, européens, face à nos responsabilités et je souhaite que nous les prenions. Je suis heureux quand je vois que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne décident d’augmenter leur budget de défense. Mais je voudrais que chaque État européen comprenne qu’il n’a pas le choix et qu’on ne peut pas nous demander d’un côté de réduire les dépenses publiques pour répondre aux critères de Maastricht et de l’autre de ne pas exiger de tous les États européens qu’ils augmentent leurs budgets de défense comme la France le fait.
La France n’a pas vocation à garantir la sécurité de tous les États européens, c’est une affaire collective de coopération entre nous. Je dis bien coopération parce que je pense que l’idée d’une défense européenne intégrée, d’une armée européenne, aussi louable soit-elle, n’est certainement pas pour demain. Or, la menace est immédiate. La réponse doit donc être immédiate. Je crois avant tout en matière de défense européenne à la coopération entre les nations au service de notre sécurité collective.
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Enfin, en ces temps particulièrement difficiles, où certains jeunes de 14-15 ans grandissent dans la haine de leur pays, les armées, qui intègrent avec succès 20 000 à 30 000 jeunes par an, ont naturellement quelque chose à dire à la Nation française. Je n’oublie pas qu’elles ont joué pendant plus d’un siècle un rôle majeur, aux côtés de l’école, dans l’intégration républicaine de la jeunesse. Je ne suis cependant pas nostalgique du service national et ne souhaite pas le restaurer sous une forme « canada dry » ou créer un dispositif punitif pour une partie de la jeunesse française. Les formes de volontariat que je propose doivent être à la fois bénéfiques pour nos jeunes et utiles à nos armées.
Je souhaite notamment développer un grand mouvement de jeunesse, les cadets de la Défense, pour que nos enfants soient sensibilisés aux valeurs qui sont l’ADN des armées : sens de l’engagement, cohésion, dépassement de soi et amour de notre pays. Je veux qu’ils quittent leur canapé, fassent l’expérience d’un véritable brassage social, découvrent les milieux maritimes ou aéronautiques et soient fiers d’être Français ! Je veux aussi que l’engagement dans la garde nationale soit valorisé dans les parcours universitaires et que les réservistes bénéficient de formations de qualité – on a vu depuis le déclenchement de l’opération Sentinelle la difficulté pour les armées à les mobiliser et à les déployer dans la durée.
Avec l’opération Sentinelle, les armées sont redevenues visibles aux yeux des Français. Protéger notre territoire est naturellement leur première mission et cette opération est certainement appelée à s’inscrire dans la durée. Lancée dans la précipitation, elle doit encore faire l’objet d’adaptations, notamment pour renforcer la coopération avec les forces de sécurité intérieure et mieux prendre en compte des modes d’action propres aux armées, comme les patrouilles dynamiques. Nous devrons aussi avoir le courage politique de bénéficier d’une gestion plus souple des effectifs déployés, et donc de pouvoir les baisser en fonction de l’analyse de la menace.
Pourquoi priverions-nous les officiers français de la possibilité de participer de manière constructive au débat public sur les questions stratégiques, dans le respect de leurs fonctions ? J’aime quand les hommes pensent, quand ils réfléchissent, qu’ils soient civils ou qu’ils soient militaires. Je veux que nos officiers, qui incarnent un élément essentiel de notre Nation, puissent continuer à s’exprimer, à développer leurs réflexions sur les questions militaires et stratégiques. La pertinence de leurs analyses m’a toujours frappé. Je voudrais simplement que tout le monde puisse en profiter et je fais confiance à nos officiers pour respecter les devoirs qui sont liés à leurs fonctions et utiliser toujours, à bon escient, cette liberté de parole.
Les hommes et les femmes, civils et militaires, qui contribuent chaque jour à la sécurité de notre pays attendent, de nous un engagement fort sur la défense. Je suis prêt à le prendre et à le tenir. ♦