Une vraie rupture s’impose en termes de politique de défense en redonnant à nos armées les capacités à remplir leurs missions avec un véritable effort budgétaire dès 2018 et en relançant au niveau européen d’importants programmes de coopération avec de solides ambitions notamment sur le renseignement et la recherche.
Ne plus faire la guerre avec les moyens de la paix
To not fight a war anymore with the means of peace
A true rupture forces to give our armies again the capacities to complete their missions, in terms of defense policy, with a true budgetary effort in 2018; and to relaunch important cooperation programs at the European level, with solid ambitions particularly in intelligence and research.
Quelle place pour la défense dans votre projet ?
La défense occupe dans mon projet une place à la hauteur de ce qu’elle doit représenter pour la France et de son rang en Europe et dans le monde. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la France est au premier rang des puissances militaires, ce qui lui donne des droits, mais également des devoirs. Des interventions en Afrique ou au Levant à l’opération Sentinelle sur notre sol, nos armées et nos services de renseignement extérieurs font face à des demandes toujours plus importantes dans un contexte de réduction des budgets et des moyens.
Au printemps dernier, je me suis rendue dans la bande sahélo-saharienne, au Niger, au Mali et au Tchad, auprès de nos hommes engagés dans l’opération Barkhane, pour mieux comprendre leur action et les nouvelles menaces auxquelles ils sont confrontés. Si j’ai été impressionnée par le professionnalisme constant des militaires français, leur capacité de coordination de différents moyens, dans un théâtre très complexe, dans des conditions naturelles exigeantes et dans le cadre d’un affrontement asymétrique, je n’en ai pas moins noté les problèmes importants que rencontrent nos forces. Ils sont de trois ordres.
Il y a d’abord la question des ressources humaines avec du personnel extrêmement sollicité entre opérations extérieures et intérieures, notamment Sentinelle, limitant d’autant les temps de repos et créant un vrai risque d’usure.
Il y a ensuite un problème de matériel, tant en termes de quantité, sur les hélicoptères par exemple, que de qualité et de modernité : nos véhicules blindés de transports de troupes par exemple sont souvent de très ancienne génération, pas tous équipés de brouilleurs anti-IED (Improvised Explosive Device) ou de blindages renforcés, et les nouveaux sont souvent sous-motorisés. Au global, l’essentiel des matériels est servi par du personnel plus jeune qu’eux. C’est comme si le débarquement de 1944 avait été fait avec des bateaux à voile !
Il y a enfin un problème de souveraineté sur des matériels devenus stratégiques et que la France ne sait pas produire ni opérer seule. L’exemple le plus marquant est celui des drones, de surveillance et surtout d’attaque. Nous sommes obligés de faire appel à des Reapers, fabriqués et entretenus par General Atomic et dont la vente est soumise à l’approbation du Congrès des États-Unis ! Et aujourd’hui, ils refusent de nous vendre la version armée, pourtant demandée par nos aviateurs, et si nécessaire dans le cadre de leurs missions. Il suffit pour s’en convaincre de voir l’usage qui en est fait par les États-Unis eux-mêmes.
Sur l’opération Sentinelle, au-delà des problématiques relatives à son organisation et sa logistique, il faut surtout rappeler qu’elle ne peut-être que temporaire et ne pas s’installer dans l’idée que l’Armée doit être déployée en permanence sur le territoire national. Le problème de préparation opérationnelle des forces qu’elle pose fait courir le risque que dans le futur nous ne soyons plus à même de mener des opérations comme Serval. Les forces de l’ordre doivent prendre le relais, ce qui permettra de recentrer l’Armée sur ses missions extérieures.
En résumé, le soutien à nos forces armées doit être renforcé, leur préparation et leur équipement accrus, et leur usage et leur engagement en permanence repensé. C’est une vraie question de souveraineté.
Quel programme souhaiteriez-vous lancer ?
Je suis en faveur d’une réponse à deux niveaux.
Il faut d’abord un programme de réarmement de nos forces, en moyens humains et matériels. Cela passe par l’arrêt de la suppression nette de postes dans les forces armées et les services de renseignement et par une augmentation significative du budget que nous consacrons à la défense. Cet effort est indispensable, il en va de la sécurité des Français.
Il faut ensuite lancer de grands programmes de recherche et de développement en matière de défense. Cela ne peut-être fait que dans le cadre de l’Europe et avec nos partenaires, mais la France doit être à la manœuvre pour pousser ses champions nationaux et défendre ses intérêts stratégiques. Il faut notamment avancer en matière de drones et de cyberdéfense. Sur les armements conventionnels, la mutualisation de nos moyens doit permettre de développer à moindre coût les équipements qui protégeront nos soldats dans les conflits de demain. Dans cette optique, le développement du système Félin (Fantassin à équipements et liaisons intégrés) a sans doute été trop long. Il faut être plus réactif dans l’adaptation de nos systèmes d’armes aux réalités des théâtres d’opérations. La mise en commun des moyens est une des solutions pour y parvenir.
Il est important de souligner l’aspect doublement bénéfique de ces programmes, qui, en plus de renforcer nos capacités de défense, soutiennent notre économie en donnant du travail à nos entreprises de pointe, et en générant des retombées dans le civil, où le marché des drones par exemple est également en plein essor.
J’ajouterai que la dissuasion nucléaire n’est pas négociable et reste le principal vecteur de la sanctuarisation du territoire national. Il s’agit de poursuivre l’amélioration continue des moyens d’action de nos forces stratégiques, notamment océaniques, qui nous placent parmi les nations crédibles de ce monde sur le plan défensif, comme l’avait souhaité le général de Gaulle.
Quel budget voteriez-vous ? 2 % en 2018 ou à la fin du quinquennat ?
Je vais être claire : on ne peut pas dire que nous sommes en guerre et dans le même temps, réduire nos dépenses de défense. Faire la guerre cela coûte cher ! Il manque aujourd’hui 10 milliards d’euros par an au budget de la défense pour atteindre l’objectif de 2 % du PIB. Nous sommes allés trop loin dans les restrictions budgétaires lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Celui de François Hollande, avec ses coupes sombres, sans vision stratégique, aura encore aggravé la situation, malgré les inflexions récentes de la LPM. Il y a urgence aujourd’hui à rétablir notre outil militaire qui par endroit est à la limite de la rupture. Je compte combler cet écart dès le premier budget que je ferai voter si je suis élue présidente de la République, c’est-à-dire en 2018.
Quid des relations entre l’État et l’UE ?
Il faut les clarifier très nettement. La France est au premier rang militaire en Europe. C’est la seule armée, avec celle du Royaume-Uni, à disposer de la capacité à « entrer en premier » dans un théâtre d’opérations. De facto, la France assure seule une grande partie des opérations de sécurité et de défense qui servent pour autant à l’ensemble de nos voisins européens. L’opération Barkhane coûte 500 millions d’euros par an pour stabiliser l’ensemble de la zone sahélo-saharienne, ce qui bénéficie à toute l’Europe. Quand on ajoute l’opération Chammal contre l’État islamique et l’opération en Centre-Afrique, on atteint 1 milliard d’euros. Après le Brexit, la France assurera seule 25 % du budget de défense de l’UE, soit 62 milliards d’euros par an. Dans ce contexte, il faut a minima et rapidement que les dépenses budgétaires de défense soient sorties des critères de Maastricht.
Mais j’irai plus loin : il faut le renforcement au niveau européen de nos capacités de défense. Cela passe notamment par le renseignement avec la création d’une agence européenne de renseignement et d’un parquet européen, en particulier pour lutter contre le terrorisme. Cela passe également par une coordination plus étroite des politiques étrangères des pays membres et une redéfinition de notre engagement au sein de l’Otan.
Cela passe finalement par la mise en place d’un budget européen de défense qui permette de financer les opérations menées par les pays membres et dont l’intérêt est communautaire. Il faudra ensuite créer des mécanismes de mise à disposition de troupes et de matériels par les pays membres, y compris de manière obligatoire et instituer un quartier général militaire européen permanent, mais un budget commun me semble être une première étape indispensable et réaliste à court terme.
Enfin, il faut lancer au niveau européen de grands programmes de recherche et développement en matière de défense. Je le disais précédemment, l’Europe est le bon échelon pour traiter ces sujets et la mutualisation de nos moyens de recherche et développement, de production industrielle, et de financement nous permettra de rattraper notre retard collectif dans des armements devenus stratégiques. Nous avons de multiples exemples de coopérations réussies comme Airbus ou notre partenariat sur le nucléaire avec le Royaume-Uni. Mais il y a aussi eu des échecs, comme le programme Eurofighter qui n’a pas su embarquer tout le monde, ou le récent A400M dont l’avenir est encore incertain. La France doit incarner une volonté forte en Europe sur ces sujets. Elle a la crédibilité pour le faire. Il lui manque la conviction politique. C’est le projet que j’entends porter.
Et quelle place pour l’Armée dans la Nation ?
L’armée a une place particulière dans la Nation. On le voit bien dans l’attachement des Français au 14 juillet et la communion qu’ils ont avec leurs forces armées. Ce lien doit être préservé et cela passe par le renforcement de notre soutien, y compris budgétaire, et l’affirmation de notre reconnaissance. Une « journée du souvenir » pourrait ainsi être organisée pour mieux associer la jeunesse aux
commémorations nationales grâce à des visites de musées, de rencontres avec des associations d’anciens combattants ou de découverte de régiments. Le développement de préparations militaires pour les jeunes et le renforcement de la réserve citoyenne sont également des pistes à étudier.
On entend ici et là des propositions de rétablissement du service militaire. J’ai fait le mien dans la Marine, je sais donc exactement de quoi il retourne. Je suis résolument en faveur d’une armée de métier et contre la remise en place d’un service militaire « à l’ancienne », qui est à la fois impossible sur le plan budgétaire, car bien trop cher, et inefficace sur le plan défensif, tant les menaces sont aujourd’hui diverses et évolutives et demandent un entraînement et un équipement très poussés.
Je suis en revanche pour la création d’un service national court obligatoire pour tous afin de répondre au besoin de dispenser une formation civique et à la sécurité (secourisme, réagir à une attaque…) dans le contexte du renforcement de la menace d’attentats que nous connaissons, et le besoin de rencontrer nos jeunes et de détecter les diverses situations de détresse (sanitaire, psychologique, illettrisme, radicalisation…) pour y remédier ensuite. Je ne souhaite pas imposer dès à présent les modalités qui doivent être largement débattues, mais cela me semble être une direction générale à suivre. C’est un moyen de renforcer le lien entre la Nation et l’Armée, tout en resserrant les liens dans l’ensemble de la société. Dans le contexte que nous connaissons actuellement, de menace, et souvent de crainte et de suspicion, cela me semble essentiel. ♦