Fabricants d’intox. La guerre mondialisée des propagandes
Fabricants d’intox. La guerre mondialisée des propagandes
Christian Harbulot nous a encore conquis avec la sortie de son dernier ouvrage Fabricants d’intox. La guerre mondialisée des propagandes. Auteur de nombreux ouvrages de référence comme notamment Le manuel d’intelligence économique (2012) ou encore Techniques offensives et guerre économique (2014), le directeur de l’École de Guerre Économique de Paris (EGE), considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’intelligence économique, nous livre ici une analyse froide et décapante des dangers d’une certaine forme d’information sur la société civile. Alors que nombre d’observateurs se focalisent sur les seules dimensions technologiques de la révolution numérique, Christian Harbulot met l’accent sur l’importance des contenus, leur maîtrise, leur cohérence et leur logique tout au long de la chaîne informationnelle.
« L’information vraie ou fausse, est une arme parfois plus efficace que le fusil, la diplomatie, la justice ou la loi ». « Hélas », remarque l’auteur, « à la différence de ce que l’on observe dans le monde anglo-saxon, en Chine, en Russie ou en Israël, une telle évidence n’entre pas dans le champ de vision de nos élites ».
Dans une démonstration sans indulgence, l’auteur enseigne les manœuvres de la désinformation et de la manipulation qui menacent notre société et livre son interprétation de l’art des opérations d’influence dans les champs stratégiques et géopolitiques. Son analyse très documentée convoque de nombreux exemples liés à l’opacité de la guerre économique qui demeure selon lui : « l’un des champs d’affrontement où l’information est utilisée de manière la plus efficace ».
Contrairement à ce que l’on observe dans les conflits militaires, les démarches offensives de la guerre économique sont très difficilement repérables dans la mesure où les entreprises privées qui attaquent leurs concurrents ne le revendiquent pas et agissent de manière à ne pas être identifiées. Les techniques d’attaques informationnelles sont très diversifiées et peuvent aboutir à des pertes de parts de marchés, des suppressions d’emplois, des rachats voire des faillites. Les plus courantes reposent sur les techniques de rumeurs engagées afin de nuire à l’image du concurrent. Ces attaques prennent des formes très variées qui portent généralement sur des allégations quant à la qualité de l’activité économique, la perspective de futurs licenciements, la notoriété, la capacité des responsables à diriger ou encore sur la vie privée des dirigeants.
Incisif, et non dénué de cynisme, l’auteur démontre que le développement des médias en ligne a encouragé la diversification des modes d’action de la rumeur influençant de manière sensible, les cotations boursières.
Selon l’auteur, les réseaux sociaux constituent de véritables espaces informationnels autonomes qui remettent en cause les formes classiques de la communication. « Le faible », c’est-à-dire le consommateur, peut donc attaquer « le fort », c’est-à-dire l’entreprise, sans aucune difficulté d’accès, car ses moyens sont illimités. La capacité à générer de l’audimat n’est donc plus comme par le passé, proportionnelle à la légitimité de l’intéressé mais simplement à son talent, à savoir, utiliser la capacité des réseaux sociaux désormais démocratisés et ouverts au plus grand nombre.
La vulnérabilité des marchés se trouve donc accentuée d’une part, par la facilitation de la prise de parole de certains éléments perturbateurs et professionnels de l’agora du net, et d’autre part, par l’attention de certains journalistes quelquefois plus enclins au sensationnel qu’à la réalité objective de la situation.
Christian Harbulot fustige donc sans ambages Internet qui a donné le moyen « au faible » de construire son propre modèle de résonance en direction de « la société civile », des médias et du monde économique. Sa démonstration majeure repose sur le fait que « les opérations de guerre économique menées à un niveau stratégique sont de plus en plus axées sur des logiques d’encerclement par l’information ou d’occupation du terrain par la production de connaissances » et que l’usage offensif du Droit par certains pays, comme les États-Unis, cimente aujourd’hui de nouvelles légitimités. « Quand les Américains ont compris le bénéfice de ce qu’ils pouvaient tirer de la guerre de l’information dans leur stratégie géopolitique et économique, ils ont su développer un nouveau concept de guerre adapté à la situation. Ils utilisent aujourd’hui conjointement des forces spéciales et des services de renseignement avec des campagnes d’information et de désinformation croisées avec des réglementations juridiques extraterritoriales pour attaquer en dégradé la cible, son environnement et le monde du Web ». L’auteur rappelle aussi : « On l’a vu au Proche-Orient, pour le conflit israélo-palestinien, dans les Balkans avec la promotion de l’État kosovar. On l’a également vu avec les terroristes d’Al-Qaïda puis de Daech qui ont également bien compris tout le profit qu’ils pouvaient tirer de cette approche efficace et peu coûteuse. Que ce soit pour donner une image de puissance, faire connaître leur organisation et leurs idées, inciter des jeunes à les rejoindre, ou pour donner leurs instructions aux agents dormants et aux réseaux de soutien, ces acteurs utilisent l’Internet dans toutes ses possibilités ».
Le directeur de l’EGE rappelle qu’en 2016, l’attention reste hélas fixée sur l’innovation technologique comme si le progrès était la seule finalité de l’activité humaine. Selon lui, rares sont les spécialistes qui s’interrogent sur le caractère conflictuel de ce monde immatériel. Il prend notamment pour appui le contrôle de l’économie numérique d’Internet par les États-Unis. Il rappelle aussi qu’au cours des années 2000, les pays en quête de puissance ont remis en cause la suprématie de l’anglais et que l’Internet chinois a réinventé la notion de frontière sur le Web en utilisant la langue nationale comme périmètre de développement spécifique…
En conclusion de cette analyse décapante, l’auteur démontre que « le faible » s’est peu à peu créé un espace de manœuvre dans le monde immatériel. Il confirme en cela que la souveraineté numérique est devenue un enjeu stratégique au même titre que le fut dans le passé la recherche de l’unité territoriale des États. Il résulterait donc de cette révolution une nouvelle règle du jeu : le combat informationnel est désormais soumis à la manière d’utiliser la connaissance comme une arme offensive. « Les plus habiles seront ceux qui parviendront à leurs fins en donnant à leur discours une résonance plus légitime que celle de leur adversaire ».
À l’heure du numérique, la réflexion de Christian Harbulot peut être perçue comme une adaptation de l’ouvrage du Prince de Machiavel à laquelle certains pourraient aussi rétorquer que « la fin ne justifie pas tous les moyens ». ♦