Le Brexit aura des conséquences non seulement pour l’Europe mais aussi pour la Russie. Une dimension plus européenne et moins atlantiste pourrait permettre une reprise du dialogue qui reste indispensable pour que la Russie et son opinion publique voient leur avenir dans cette dimension européenne.
Le Brexit et la Russie : une nouvelle configuration géopolitique en Europe
Brexit and Russia: New Geopolitical Configuration in Europe
Brexit will have consequences not only for Europe but also for Russia. A more European and less Atlanticist dimension could lead to the renewed dialogue necessary for Russia and its public opinion to foresee their future in this European dimension.
Le malaise actuel de l’Union européenne suscite des débats animés non seulement parmi ses États-membres, mais aussi en dehors de ses frontières. Parmi les acteurs extérieurs intéressés, la Russie occupe une place particulière. La crise ukrainienne a bien montré l’importance des relations entre l’UE et la Russie pour tout le continent européen. Il vaut mieux rappeler que si les causes profondes de cette crise étaient d’ordre interne, elle a été déclenchée de l’extérieur, suite aux tentatives de la Russie d’empêcher la signature par l’Ukraine de l’accord d’association avec l’UE. En fait, c’est la concurrence acharnée entre deux protagonistes et leur manque de souplesse qui ont mis le feu aux poudres. Il faut aussi noter qu’apparemment l’UE a gagné, mais en réalité tous ont perdu, en premier lieu l’Ukraine qui a basculé dans une guerre civile dans les régions russophones du Sud-Est et dans un naufrage économique. La guerre de sanctions et contre-sanctions a gravement touché l’économie russe qui était déjà en difficulté, mais elle a aussi fait des dégâts sensibles dans un nombre de pays de l’UE.
Il n’est pas étonnant que la question de l’avenir de l’UE après le Brexit intéresse énormément la classe politique russe, les médias et les experts. Qui plus est, à en juger par les commentaires qui proviennent des cercles proches du pouvoir, le Kremlin, de son côté, essaye d’élaborer des scénarios possibles du développement de la situation qui pourraient avoir un impact non seulement sur la politique étrangère du pays, mais aussi sur son évolution interne. Car, malgré un discours officiel qui met aujourd’hui l’accent sur « le virage stratégique de la Russie à l’Est », c’est-à-dire sur son rapprochement avec les États de l’Asie, en particulier la Chine, malgré un tapage médiatique sur ce thème, le pragmatisme élémentaire pèse toujours en faveur de l’Europe. Plus de 80 % de l’économie russe se trouvent dans la partie européenne du pays, également plus de 80 % de sa population, qui appartient essentiellement à la culture européenne, y vivent. Ce fait capital a aussi une dimension pratique : même dans le contexte d’une guerre de sanctions et contre-sanctions, mentionnée plus haut, les échanges commerciaux entre la Russie et l’UE en 2015 sont estimés à 220 milliards d’euros contre 53 milliards avec la Chine. Les experts russes indépendants soulignent aussi que la modernisation de l’économie russe, qui est devenue une vraie urgence, est inconcevable sans les investissements et technologies européens (1).
Seule cette situation est suffisante pour expliquer une approche prudente du pouvoir russe envers la crise que connaît aujourd’hui l’UE et dont le Brexit, à l’avis unanime des spécialistes et des médias du pays, n’est qu’une manifestation la plus impressionnante. Contrairement aux idées reçues en Occident, le Kremlin, même s’il développe des liens avec les mouvements « eurosceptiques », ne veut voir l’UE se disloquer ou même s’affaiblir trop. Sur le plan économique et financier, outre les facteurs déjà mentionnés, il faut tenir compte du fait que 40 % des réserves de la Russie en devises étrangères sont libellées en euros. D’une part, la monnaie européenne est l’une des garanties de stabilité des finances du pays, d’autre part, elle a pour le Kremlin une dimension géopolitique. L’euro est vu comme un contrepoids à la domination du dollar américain et, donc, à la domination des États-Unis dans le monde en général. La dislocation de l’UE pourrait conduire au renforcement du rôle unificateur de l’Otan en Europe ce qui, étant donné le poids prépondérant des États-Unis dans l’Alliance, serait considéré en Russie comme un nouveau défi pour ses positions géopolitiques (2).
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