Reagan-Gorbatchev (Reykjavik, 1986 : le Sommet de tous les espoirs)
Reagan-Gorbatchev (Reykjavik, 1986 : le Sommet de tous les espoirs)
Il y a trente ans, exactement les 11 et 12 octobre 1986, se tenait à Reykjavik la deuxième rencontre, entre Ronald Reagan, réélu triomphalement deux années auparavant, et Mikhaïl Gorbatchev, nouveau Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Ce Sommet restera gravé dans l’Histoire car, en pleine guerre froide, les leaders des deux plus grandes puissances nucléaires ont été tout près de signer un accord portant sur un plan d’élimination totale de leurs armes nucléaires.
Cette histoire totalement méconnue en France, pour des raisons évidentes, mérite d’être racontée à l’occasion de son trentième anniversaire. C’est l’objet de ce livre. Comme l’écrit l’auteur, ce drôle de week-end en Islande en plein mois d’octobre a vu se jouer une incroyable partie de poker entre ces deux chefs d’État les plus puissants du monde, partie de poker dont l’enjeu était l’élimination totale des armes nucléaires et par conséquent le destin du monde.
L’histoire commence le 19 novembre 1985, à Genève où est organisée la première rencontre entre Reagan et Gorbatchev, après un long intermède. En effet, le dernier Sommet entre les chefs d’État américain et soviétique avait eu lieu six ans auparavant et s’était conclu par la signature à Vienne, entre Jimmy Carter et Leonid Brejnev, du traité SALT II (Strategic Arms Limitation Talks). C’est dire si les deux leaders étaient impatients de se rencontrer et de se connaître, d’autant plus que le Secrétaire général du PCUS semblait plus ouvert que ces prédécesseurs. Parmi leurs conseillers présents à Genève, on pouvait noter la présence des deux ministres des Affaires étrangères, George P. Shultz côté américain, et Edouard Chevarnadze côté soviétique. Ils seront des acteurs importants à Reykjavik.
Ce Sommet qui durera à peine plus de 24 heures, ne sera cependant pas conclusif. Aucun accord n’aura été trouvé, en particulier en raison de la différence de vision sur le programme SDI (Strategic Defense Initiative). Il permettra néanmoins à ces deux leaders de se jauger, de se découvrir et dans une certaine mesure de s’apprécier. Ils repartiront tous les deux avec le sentiment qu’un nouveau dialogue est désormais possible.
Aussi, de retour dans leurs pays respectifs, les deux délégations et leurs administrations entament un intense travail de réflexion. Nous sommes en pleine guerre froide, la question des armements nucléaires est source de tensions extrêmes, malgré le processus de leur contrôle commencé dans les années soixante-dix. Les experts s’accordent pour chiffrer le nombre total d’ogives nucléaires américaines autour de 21 400 et celui des ogives nucléaires soviétiques à 39 200. Mieux encore, le président Reagan a jeté un pavé dans la mare le 23 mars 1983 en annonçant le lancement du programme SDI. En effet, Ronald Reagan est obsédé par la perspective de la destruction de la planète à cause d’une guerre nucléaire.
Les Soviétiques sont totalement opposés à ce projet et y voient non seulement une remise en cause du traité ABM (Anti Ballistic Missile) qui empêche tout déploiement de système antimissile mais aussi une menace directe pour leur arsenal stratégique et donc leur sécurité. De surcroît, le 26 avril 1986, le réacteur n° 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Ce qui ajoute à la tension mais apparaît aussi comme un avertissement sur le danger nucléaire.
C’est donc dans ce contexte que le Secrétaire général s’adresse au Président des États-Unis dans une lettre écrite le 15 septembre 1986 pour lui demander un rendez-vous en terrain neutre. À l’instigation de François Mitterrand, en partie. En définitive le lieu fixé par Gorbatchev est Reykjavik.
Les préparatifs commencent aussitôt dans la fébrilité car le délai est très court, même si les deux parties avaient déjà anticipé la tenue d’un deuxième Sommet. Cette préparation s’effectue de part et d’autre dans une ambiance lourde de suspicion et faite de méfiance mais avec la volonté de poser les bases d’un accord de grande portée sur les questions de désarmement qui seront au centre des discussions.
Enfin, le grand jour arrive et personne ne le sait encore dans les deux délégations : « Ce qu’ils vivront à quelques kilomètres du Cercle polaire arctique sera historique. Quarante-huit heures pour changer le monde ». Le 11 octobre 1986, le jour J, les deux leaders se rejoignent accompagnés de leurs conseillers, parmi lesquels on retrouve notamment les ministres des Affaires étrangères mais aussi le conseiller à la sécurité nationale, l’amiral Poindexter, et le chef d’état-major interarmées soviétique le maréchal Akhromeïev. Les discussions s’engagent enfin…
Après ce long mais nécessaire préambule pour planter le décor et mettre en place la scène avec tous ces arrière-plans politiques, stratégiques et psychologiques, l’auteur commence ici un récit haletant, plein de suspense, de rebondissements qui ont jalonné ces négociations pour en faire le lieu d’une tragédie historique. Finalement, tout le monde en connaît le dénouement. L’accord âprement négocié d’élimination des armes nucléaires ne se fera pas, il achoppera sur les divergences portant sur la « Guerre des étoiles » et sans doute sur une méfiance réciproque trop ancienne et ancrée pour être aussi rapidement dissipée.
Néanmoins ce Sommet ne se terminera pas sur un échec complet, bien au contraire, puisque la décision prise à cette occasion d’éliminer les missiles à portée intermédiaire donnera l’occasion aux deux leaders de se retrouver à Washington du 7 au 10 décembre 1987 pour signer le traité INF (Intermediate Nuclear Forces) toujours en vigueur, bien que menacé actuellement. Reykjavik aura aussi donné une nouvelle impulsion au processus de contrôle des armements nucléaires. Ainsi, le 31 juillet 1991, Bush et Gorbatchev signeront le traité de désarmement nucléaire START I (Strategic Arms Reduction Treaty).
S’appuyant sur les archives américaines et russes ainsi que sur les entretiens des principaux acteurs, historiens ou observateurs, l’auteur retrace les péripéties de ces discussions avec beaucoup de rigueur historique mais aussi avec un sens du récit qui tient en haleine le lecteur. Il met ainsi en évidence la complexité des interactions qui les ont animées et provoquées, ainsi que les ressorts intimes de chacun des acteurs de cette pièce sur laquelle s’est joué le destin du monde.
En dépit de son dénouement, plein d’amertume, le Sommet de Reykjavik restera ce moment historique où les deux chefs d’États des deux plus grandes puissances nucléaires mondiales auraient pu mettre un terme à l’affrontement nucléaire opposant l’Est et l’Ouest en signant un accord d’élimination totale des armes nucléaires sur une période de dix ans. Ces deux leaders, occupant les plus hautes responsabilités, ont pensé l’impensable, parce qu’ils avaient tous les deux le dégoût des armes nucléaires et qu’ils en savaient les dangers.
La question que l’on se pose en fermant ce livre est alors : si Ronald Reagan, président républicain des États-Unis, et Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, se sont mis d’accord pour éliminer leurs armements nucléaires, pourquoi cela ne serait-il pas possible de nos jours ?
Comme l’a dit récemment M. Gorbatchev à l’occasion du trentième anniversaire du Sommet de Reykjavik : « Si l’objectif que nous nous étions fixé avec le Président des États-Unis semble de plus en plus s’éloigner de nos jours, je reste convaincu qu’un monde libéré des armes nucléaires n’est pas une utopie mais une nécessité. Nous devons rappeler constamment aux dirigeants de ce monde cet objectif et leur engagement à le réaliser ».