Les États arabes du Golfe n’ont pas de préjugés défavorables envers la nouvelle Administration Trump, étant traditionnellement plutôt en faveur des Républicains. Cependant, ils attendent désormais des actes, en particulier face à Téhéran. Le pragmatisme devrait perdurer vis-à-vis de Washington.
Les États arabes du Golfe face à la nouvelle présidence américaine
Arab Gulf States Faced with the New American Presidency
The Arab Gulf States do not have unfavorable presumptions toward the new Trump Administration, as they are traditionally more in favor of Republicans. Currently however, they wait for actions, particularly facing Tehran. Regarding Washington, pragmatism should persist.
L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche n’a pas été une vraie surprise pour les États arabes du Golfe, et encore moins une mauvaise surprise. Il est, en effet, de notoriété publique que les dirigeants du Conseil de coopération des États arabes du golfe Arabique (CCEAG) ont une préférence traditionnelle pour les candidats républicains – estimés plus proches des milieux d’affaires, notamment pétroliers – et que Hillary Clinton ne les convainquait pas.
Certes, les déclarations de Donald Trump contre les musulmans au cours de sa campagne électorale ne leur avaient pas plu, mais les responsables du Golfe accordent une importance relative aux propos de campagne… et ils jugent leurs interlocuteurs aux actes. En outre, le fait que les États du CCEAG n’aient pas été concernés – contrairement à l’Iran – par les mesures d’interdiction de visas d’entrée aux États-Unis à certains pays les a rassurés sur ce point.
Un certain nombre d’observateurs ont souligné par ailleurs que les dirigeants de la région ANMO (Afrique du Nord et Moyen-Orient) appréciaient que les États-Unis de Donald Trump ne les ennuient plus sur les questions de démocratie et de droits de l’Homme. Ce n’est pas faux, mais cela n’a jamais été un vrai problème, car la rhétorique du président Obama sur ces questions n’a guère été suivie d’effets…
En revanche, il est exact que la plupart des États arabes du Golfe – à l’exception d’Oman et dans une moindre mesure du Koweït – sont très heureux de la posture anti-iranienne du nouveau Président américain. En effet, la crainte des ingérences iraniennes dans la région et d’une mainmise de Téhéran sur le « Croissant fertile » constitue la préoccupation numéro un de ces pays. Ces derniers en veulent beaucoup au président Obama d’avoir tellement poussé pour avoir un accord nucléaire avec l’Iran et surtout – du fait de cet empressement – de n’avoir pas exigé de la République islamique un comportement plus coopératif au Moyen-Orient. Ils accusent l’ancien Président de naïveté, en ayant eu l’illusion que l’accord nucléaire déboucherait naturellement sur un partenariat nouveau entre l’Iran, les États-Unis et ses alliés dans la région.
Aussi, l’Arabie saoudite et la plupart des émirats du Golfe sont-ils rassurés par la « fin de la complaisance américaine envers l’Iran » et entendent profiter des bonnes dispositions du président Trump pour resserrer leurs liens traditionnels avec les États-Unis. Il n’est donc pas surprenant que le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al Jubeir – ancien ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis – ait passé deux mois à Washington pour traiter certes le problème du JASTA (loi américaine autorisant les familles des victimes du 11 septembre 2001 à poursuivre des États supposés complices), mais aussi pour prendre les contacts nécessaires avec la nouvelle Administration et le nouveau Congrès américain.
Il est clair, en effet, que si les Saoudiens sont conscients d’être moins performants en matière de communication que les Iraniens, ils estiment qu’ils sont en revanche plus à même que Téhéran d’attirer les investisseurs américains chez eux : la privatisation de la société pétrolière ARAMCO est, a priori, plus séduisante que les prospects en Iran, sans même parler du problème de financements de contrats en dollars avec la République islamique. Les hommes d’affaires américains se pressent d’ailleurs actuellement dans les capitales arabes du Golfe…
En outre, et malgré la condamnation par les États du CCEAG des bombardements de l’aviation russe à Alep, ces pays ne sont pas embarrassés par la perspective d’un « deal » américano-russe sur la Syrie. En effet, celui-ci pourrait être une occasion de dissocier l’axe Moscou-Téhéran au profit d’Ankara en particulier. C’est bien sûr l’une des raisons du rapprochement saoudo-turc, qui vise à réduire l’influence iranienne au Moyen-Orient. Riyad escompte aussi une attitude plus compréhensive de l’Administration Trump que celle d’Obama sur le conflit au Yémen.
Tous ces éléments favorables à la nouvelle Administration américaine ne doivent cependant pas laisser l’impression que les pays du Golfe sont totalement acquis et ne se posent pas certaines questions, que l’on peut résumer ainsi :
• Les États-Unis ne sont-ils pas dans une phase isolationniste qui relativise les déclarations martiales du président Trump ?
• Le président et son Administration seront-ils cohérents et constants dans leur politique ?
• Le concept de « burden sharing » (ou partage du fardeau) cher à Trump ne va-t-il pas déboucher sur des demandes excessives aux pays du Golfe en échange de sa politique anti-iranienne ?
• Les restrictions de visas à certaines nationalités ne risquent-elles pas de concerner un jour aussi les États du CCEAG ? Rappelons que la moitié des étudiants saoudiens à l’étranger sont aux États-Unis et que la question taraude de nombreuses familles.
• La menace brandie par l’Administration Trump d’une guerre commerciale avec ses concurrents ne risque-t-elle pas de conduire à des restrictions au libre-échange ? Et n’y a-t-il pas un risque pour les pays du Golfe, qui placent une part significative de leurs excédents financiers aux États-Unis, que Washington impose un jour des contraintes aux mouvements de capitaux ?
• Les sentiments islamophobes qui se manifestent aux États-Unis ne risquent-ils pas de porter atteinte à son image de Nation-modèle pour les gens du Golfe ?
Toutes ces questions sont encore posées mezza voce, mais elles montrent que si l’Administration Trump est bien accueillie dans le Golfe, les pays de la région attendent – comme toujours – leur nouveau partenaire aux actes et sont conscients des interrogations que suscite le Président. À ce stade, les États du Golfe font ce qu’ils peuvent pour attirer la nouvelle Administration américaine à eux, mais c’est dans la durée que l’on pourra apprécier l’ampleur de leur élan actuel.