Guerre et exterminations à l’Est - Hitler et la conquête de l’espace vital (1933-1945)
Guerre et exterminations à l’Est - Hitler et la conquête de l’espace vital (1933-1945)
Professeur émérite de l’histoire de l’Allemagne à l’Université de Strasbourg, Christian Baechler livre un ouvrage de synthèse sur l’attitude de celle-ci vis-à-vis de l’Europe de l’Est (ex-Union soviétique et Pologne) durant la période nazie, paru en 2012 et heureusement réédité sous format poche. Nous sommes au cœur de cet espace vital cher à la propagande hitlérienne. Une zone dans laquelle le comportement des troupes et de l’administration civile allemande dépassa les limites de toutes les conventions régissant les conflits. Des atrocités dont les SS ne furent pas par les seuls auteurs et, dont les Allemands présents dans ces territoires, furent les témoins ou les complices.
Les deux premiers chapitres permettent de mesurer l’importance des préjugés envers les Slaves, antérieurs à l’apparition de l’idéologie nazie, mais qui seront exploités à outrance par celle-ci. Et ce, malgré le fait que depuis le Moyen Âge, Allemands et Slaves vivaient ensemble dans de nombreuses régions d’Europe orientale. Si le Drang nach Osten (la poussée vers l’Est) est relativement connu, l’ouvrage montre l’évolution des sentiments allemands à l’égard des Polonais et des Russes. Le maintien de l’unité de la Prusse, puis de l’Empire, entraîna une politique répressive à leur égard. Le Polonais est stéréotypé comme inférieur et sale… Une caricature qui va s’accentuer après la Première Guerre mondiale et le rétablissement d’un État polonais aux dépens de territoires allemands. Le cas des Russes est plus complexe : en effet, la Russie et la Prusse ont été alliées tout au long du XIXe siècle. Les contacts entre les élites sont nombreux. La Russie apparaît même aux yeux de certains Allemands comme une puissance d’avenir. Elle devient cependant un ennemi potentiel lorsque prend fin l’alliance traditionnelle à la fin du XIXe siècle. Dès lors, le Russe se voit affublé d’un certain nombre de points communs avec le Polonais. L’idéologie nazie amplifie les divers stéréotypes et leur superpose une vision raciale. Les Slaves représentent une main-d’œuvre qui permettra d’exploiter cet espace vital dont l’Allemagne a tant besoin. De plus, les Russes sont dans l’idéologie hitlérienne présentés comme dominés par les Juifs et soumis au communisme, deux raisons supplémentaires de les éliminer.
Les chapitres suivants étudient l’évolution des relations entre l’Allemagne nazie et ses voisins, puis la mise en œuvre de la politique nazie dans la Pologne occupée. Comme dans d’autres domaines, on trouve de nombreux organismes rivaux aux attributions mal définies qui se concurrencent et dépendent des grands dignitaires nazis : Himmler, Goering, Rosenberg… La Pologne refusant une adhésion au pacte anti-Komintern qui ferait d’elle un vassal de l’Allemagne nazie, Hitler décide de l’éliminer en tant qu’État. Il bénéficie pour cela des hésitations des démocraties tout au long des années 1930 et du désir de Staline de gagner du temps et de l’espace. La Pologne conquise, se met en place une politique dirigée contre les Juifs et les élites : intellectuels, officiers, ecclésiastiques… L’espace polonais a vocation à être colonisé, ses habitants doivent être réduits à l’état de main-d’œuvre servile. Des colons qui sont généralement des Volksdeustches transférés d’autres pays et à qui on attribue arbitrairement de nouveaux lieux de résidence, le plus souvent à la tête d’exploitations agricoles. Le sort des Juifs polonais fait l’objet d’âpres débats entre les gauleiters des territoires annexés au Reich et Hans Frank qui est à la tête du gouvernement général.
Le cœur de l’ouvrage traite du sort de l’URSS dont tous les aspects sont abordés. Qu’il s’agisse des motivations idéologiques et économiques de l’attaque à la préparation et à la réalisation de celle-ci sur le plan militaire. L’état-major allemand a accepté sans sourciller la plupart des directives à l’image de celle sur le traitement des commissaires. Il n’oublie pas le sort des millions de prisonniers de guerre qui meurent dans des conditions effroyables. Mais il montre aussi les divergences qui se font jour entre militaires (et mêmes entre politiques) sur le sort à réserver aux différents peuples de l’URSS alors que l’issue du conflit devient incertaine. L’occupation nazie est passée en revue, de l’exploitation des territoires au sort réservé à la population, souvent victime des opérations militaires : dépouillée de ses habitations, de sa nourriture et de tout ce qui peut servir, et abandonnée à elle-même. Elle paie un lourd tribut à la lutte contre les partisans qui justifie aux yeux des Allemands les atrocités commises. L’évocation des divers projets de restructuration de l’espace soviétique et de la hiérarchisation raciale de ses occupants permet de voir jusqu’où est allée l’imagination des différents théoriciens nazis. Tout est envisagé, de la sélection des individus pour ne retenir que les plus aptes à être germanisés à la création de colonies agricoles SS… Ces atrocités étaient largement connues mais leur ampleur était sous-estimée. Les 530 pages de l’ouvrage (accompagnées de plus de 150 pages de notes) apportent une connaissance solide d’un des chapitres les plus atroces de l’histoire du XXe siècle. ♦