Risques d'escalade au niveau nucléaire
Comme il arrive presque toujours en pareil cas, c’est une évolution des techniques d’armement qui a conduit à la conception d’une nouvelle stratégie et même d’une nouvelle politique. L’évolution des techniques d’armement à laquelle je veux faire allusion ici a trait à la réduction progressive de l’énergie des charges explosives nucléaires. Vous savez qu’au cours des années 1957 et 1958, les États-Unis ont expérimenté dans le Nevada des explosifs atomiques de très faible énergie, certains mêmes inférieurs aux bombes les plus lourdes au TNT, utilisées durant la seconde guerre mondiale.
Ainsi entre l’arme nucléaire la moins puissante, qui s’évaluait en dizaines de kilotonnes quelques années plus tôt, et l’arme chimique dissipant la plus grande quantité d’énergie, il n’existait plus cette fameuse solution de continuité qui marquait la différence entre l’arrêt d’un conflit classique ou sa poursuite sous forme d’escalade, en passant du cycle classique au cycle nucléaire. Ainsi, en théorie du moins, entre l’arme blanche et le « soleil » thermonucléaire de 58 mégatonnes que M. Khrouchtchev fit exploser à hauteur du Cercle Arctique, les grandes puissances allaient disposer, sans discontinuité, d’une gamme complète d’armements classiques et nucléaires, le passage d’un système à l’autre n’étant plus signalé que par les émissions radioactives, phénomène considéré à l’époque comme moins déterminant, militairement, que les effets de choc et de chaleur. Je rappelle qu’un projectile de 10 tonnes de TNT comme ceux qui furent utilisés à la fin de la deuxième guerre mondiale faisaient un « trou » d’une centaine de mètres de rayon dans l’habitat allemand tandis qu’à Hiroshima les 14 ou 15 kilotonnes qui explosèrent au-dessus de l’agglomération eurent des effets de destruction analogues sur un rayon de 2 à 3 kilomètres. Si les rayons de destruction des armes les plus puissantes du cycle classique sont voisins des rayons de destruction des explosifs de la gamme basse du cycle nucléaire, il est concevable qu’en certaines circonstances un pays passe du classique au nucléaire.
Si, en 1950, lors du conflit de Corée, cette continuité avait existé, il n’est pas exclu que M. Truman ait autorisé le général Mac Arthur à procéder par intimidation en usant de la semonce atomique. Et je crois que, si le général Mac Arthur avait fait exploser, par exemple au large des côtes de Corée, une charge nucléaire, même équivalente à 20 KT, il eût obligé l’adversaire à prendre en compte l’éventuel emploi de cet armement et, par conséquent, à se disperser de manière à y être moins vulnérable. Cet adversaire aurait alors perdu sa puissance de feu classique, faute de pouvoir se concentrer. Les troupes américaines et sud-coréennes qui, elles, n’avaient pas à redouter pareille intervention, n’usant que du feu classique, eussent été en meilleure position. Malgré la réputation qui lui a été faite, M. Truman maîtrisait mal les possibilités de l’armement dont son pays détenait encore, pratiquement, le monopole. Il en est résulté une guerre qui a fait quelque six millions de victimes – d’après les statistiques de l’ONU – pour en arriver simplement au statu quo ante en ce qui concerne la division du territoire. Apprentis-sorciers, les Américains avaient inventé un armement dont ils ne connaissaient pas encore la signification politique.
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