Vivre le temps des troubles
Vivre le temps des troubles
Dans cet essai court et percutant, le fondateur de l’Institut français des relations internationales (Ifri) nous offre une fresque de premier plan pour traiter non pas des relations internationales, volatiles et conjoncturelles, mais du système international, ce cadre structurant au sein duquel s’ordonnent les événements du monde.
Au commencement, il y a un constat : celui du « temps des troubles ». Ce temps, c’est celui d’un XXIe siècle que l’auteur considère comme « mal parti », une sorte de « mauvaise passe à franchir » pour un monde tiraillé par des forces antagonistes. Partant, Thierry de Montbrial estime que l’instabilité structurelle du système international actuel le rend inapte à réguler la marche du monde qui vient : ce système doit donc évoluer pour laisser la place à une gouvernance mondiale à la hauteur des enjeux.
Loin de partir bille en tête sur un programme de réforme de la gouvernance mondiale, l’ancien président de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) adopte au contraire une approche indirecte en mettant en perspective le « choc du présent » (III) à travers la « présence du futur » (I) et l’« empreinte du passé » (II). L’auteur dresse ainsi un panorama érudit et lucide des enseignements d’un « passé très lourd » et des limites d’un futur « fort éloigné de tout ce que l’humanité à connu ». Malgré le côté nécessairement sélectif d’un tel exercice, l’enchaînement des courts chapitres offre des réflexions stimulantes. Côté futur, sur les limites de l’intelligence artificielle, sur le besoin de transcendance, ou encore sur la prétention des sociétés qui se pensent les plus avancées. Côté passé, sur les origines de notre modernité, sur la différence du temps de maturation entre les peuples, et sur l’importance du fait religieux. Et, des deux côtés, une mise en avant du rôle fondamental du système international dans la régulation de la marche du monde. In fine, le lecteur peut aborder la dernière partie relative à la « tectonique du présent » avec l’épaisseur nécessaire pour goûter la pertinence des analyses de Thierry de Montbrial sur le système international actuel, lequel présente selon lui quatre caractéristiques majeures : hétérogénéité, globalité, multipolarité et complexité.
Fort de cette analyse, le président de la World Policy Conference (WPC) propose une manœuvre de réforme de la gouvernance mondiale basée sur quatre principes. Au premier chef – et c’est sans doute la formule la plus marquante de cet ouvrage – il s’agit de bâtir un monde « raisonnablement ouvert », c’est-à-dire de trouver un équilibre entre l’utopie d’un monde plat sans frontières et l’impasse d’un cloisonnement des peuples dans un climat de défiance généralisé. Cela doit passer par la valorisation des puissances moyennes et des pôles régionaux, structurés autour de leaders. Autre condition du succès, l’affermissement de la légitimité de l’ONU, dont les émanations régionales doivent être consolidées. Ensuite, les réformes d’intérêt commun – économie mondiale, flux migratoires, régulation des global commons – doivent être traitées en priorité. Enfin, les « systèmes de droit », entre droits nationaux et droit international, doivent s’adapter à la révolution technologique et aux « nouvelles modalités de l’interdépendance ».
Au total, Vivre le temps des troubles n’est pas un manuel de survie collectif pour affronter la tempête qui vient en souquant un peu plus les écoutilles du système international actuel. Son auteur appelle au contraire à changer le système lui-même. Car, « pour qui se préoccupe d’un risque de troisième guerre mondiale, le problème essentiel est bien celui de la gouvernance mondiale ». ♦