James Bond n’existe pas – Mémoires d’un officier traitant
James Bond n’existe pas – Mémoires d’un officier traitant
« Toutes les communautés qui veulent survivre possèdent leur propre service [de renseignement]. » Voilà de quoi nous parle ici le colonel François Waroux, officier traitant à « la Piscine » (1) de la fin des années 1970 au milieu des années 1990. À travers ces mémoires qui se veulent à la fois un récit autobiographique et une analyse sur le rôle du renseignement au service d’une nation, l’auteur nous montre au premier chef « la réalité d’un officier traitant durant la période où [il fut] en activité, sans en rajouter ni dans l’héroïsme ni dans l’avilissement ».
Depuis ses premières années comme officier dans l’Armée de terre jusqu’à son dernier poste à la « Centrale », François Waroux décrit au fil des pages avec justesse et humilité son rôle d’« espion » au cours de ses affectations de terrain où il fut, tour à tour, en charge de la recherche de renseignement sur les questions nucléaires aux États-Unis, chef de poste à Addis-Abeba sous l’ère Mengistu, puis chef de poste au Pakistan au crépuscule de la guerre froide.
D’un côté, on y découvre la vie somme toute assez ordinaire d’un officier traitant, marié et père de famille, aux antipodes des images d’Épinal de l’espion : « les espions sont le plus souvent des petits bonshommes qui ressemblent à tout le monde et à n’importe qui » nous dit François Waroux. De l’autre, l’auteur nous fait découvrir la solitude, les angoisses, les doutes et les moments d’exaltation d’un officier traitant dont la principale tâche est de « compromettre des individus, de les écouter à leur insu, de les prendre en filature, de les manipuler, de flatter leur ego, de les payer pour trahir. Tout cela au nom des plus dignes valeurs patriotiques ».
Ce faisant, le colonel Waroux révèle toute la complexité de la figure de l’officier traitant destiné à « évoluer dans un univers où les vertus deviennent relatives avec des convictions qui lui sont propres ». Le dernier chapitre de l’ouvrage est à ce titre une invitation à la réflexion sur le sens de l’engagement au sein d’un service de renseignement et sur la raison d’État.
Au total, quel écho aujourd’hui pour ces mémoires d’une époque qui pourrait de prime abord paraître déjà lointaine ? Quelle place pour le témoignage de François Waroux dans la lignée déjà nombreuse des souvenirs des anciens de « la Piscine » ? Au moins deux.
Tout d’abord, dans un contexte de débat national sur le périmètre d’action des services de renseignement et plus généralement sur l’équilibre délicat entre liberté et sécurité, cet ouvrage offre une réflexion pertinente sur le besoin fondamental de renseignement pour tout groupe humain qui souhaite se préserver et réussir.
Ensuite, alors que nous avons de plus en plus « besoin d’espions », François Waroux apporte un témoignage lucide et sans fard qui sera profitable à tous ceux qui se posent la question de faire le pas pour intégrer ce monde d’ombres et de lumières où se mêlent « officiers traitants », « honorables correspondants » et autres « agents ». ♦
(1) Surnom du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage, le SDECE, créé en 1946, ancêtre de l’actuelle Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE mise en place en 1982.