Comprendre les ambitions chinoises actuelles autour des projets rassemblés sous le logo OBOR « One Belt, One Road » nécessite de revenir dans l’histoire. L’initiative actuelle s’inscrit dans une longue tradition millénaire d’échanges qui fut interrompue progressivement à partir de la découverte du Nouveau monde.
« Une ceinture, une route » ou le versant chinois de la mondialisation (1/2)
One Belt, One Road—the Chinese View of Globalisation(1/2)
In order to understand current Chinese ambitions regarding the group of projects known as One Belt, One Road (OBOR) we have to delve back into history. The current initiative is part of a thousand-year-old tradition of trade that was progressively interrupted after the discovery of the New World.
En avril 2013, quelques mois seulement après son intronisation au poste suprême du Parti communiste chinois (PCC) et dès son investiture à la présidence de la République populaire de Chine, XI Jinping a évoqué l’idée d’un « rêve chinois » – Zhongguo mèng – en réalité un dessein qu’il indiquait comme ligne de vie au peuple chinois : « Restaurer la gloire passée de la Chine et de l’État, rappeler le désir séculaire d’une Chine moderne, riche et puissante, rendre les Chinois fiers et heureux afin de maintenir la stabilité sociale. » Ce rêve ne relève pas du mirage ou de l’utopie, comme des Occidentaux rationalistes pourraient le comprendre, mais bien d’une perspective qui, pour être éloignée dans le temps, n’en consiste pas moins en un « projet » et un objectif en termes stratégiques. « Nous voulons réaliser le rêve chinois non seulement pour le bien du peuple chinois, mais aussi pour tous les peuples », selon la citation de Xi Jinping inscrite sur le monument récemment érigé à Beidaihe, le temple balnéaire des hiérarques du PCC. C’est ce « projet » universel et cet objectif lointain que nous allons nous efforcer de décortiquer, à la lumière de l’histoire récente bien sûr, mais surtout en remettant à jour les conceptions chinoises les plus anciennes, en particulier la vision taoïste du monde telle qu’elle est exprimée par le « Tianxia » (1), l’idée d’un monde unifié et harmonieux. Il est probable que cette idée habitait déjà Mao Zedong et qu’il a cru pouvoir, malgré des circonstances défavorables et une situation économique déplorable, brûler les étapes et l’imposer prématurément au peuple chinois à travers la « Grande révolution culturelle » de 1966. Le lourd échec de celle-ci et la dégradation accrue de la situation ont obligé son successeur à changer de méthode et à reprendre le problème à la base, chinoise bien entendu.
En adepte convaincu de la doctrine taoïste et en stratège averti des méandres de l’histoire, le « petit timonier » Deng Xiaoping a appliqué une méthode fréquemment pratiquée par les empereurs chinois en début de dynastie : tenir compte des circonstances – et des échecs – et faire l’exact contraire de son prédécesseur pour atteindre le même objectif. Telle est la signification de la symbolique du chat : peu importe sa couleur du moment qu’il attrape des souris !
Ne conservant de Mao que les 50 % jugés « valables » et qui s’appellent « le socialisme à la chinoise », Deng va lui adjoindre « le socialisme de marché », cette bouture de capitalisme qui va permettre à la Chine, en seulement trente ans, non seulement de corriger les sombres erreurs du maoïsme, mais aussi et surtout de sortir du sous-développement. Les Trente glorieuses chinoises parviendront, sous les règnes des deux successeurs de Deng – Jiang Zemin et Hu Jintao – à conduire la société chinoise vers l’objectif fixé d’un niveau de vie de « petite aisance » – xiao kang en chinois – atteint en moyenne et largement dépassé pour plus de six cents millions de Chinois ; réussite exceptionnelle due à une expansion phénoménale et à des taux de développement annuels à deux chiffres, mais qui, d’abord, est encore insuffisante à enrichir « tout le peuple chinois » – il s’en faut de quelques centaines de millions d’habitants – et qui, ensuite, par sa rapidité forcément désordonnée, a provoqué simultanément « trois montagnes » de problèmes : des inégalités criantes, une corruption généralisée et un désastre environnemental alarmant. La Chine de 2013, lorsque Xi Jinping accède au pouvoir suprême – il était vice-président depuis 2008 – est sortie de l’ornière certes et remise en selle, mais néanmoins « tout reste à faire » tant sur le plan socio-économique intérieur complexe qu’à l’égard d’un monde extérieur rendu très compliqué par les conséquences de la globalisation. De même que Deng avait rompu avec les pratiques maoïstes pour sortir la Chine économique de l’ornière, l’Oncle Xi doit changer de logiciel pour éviter l’impasse qui menace la Chine de 2018.
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