My enemy’s enemy: India in Afghanistan from the Soviet invasion to the US withdrawal
My enemy’s enemy: India in Afghanistan from the Soviet invasion to the US withdrawal
Le fantasme de l’Afghanistan de Kessel a progressivement laissé place, dès les années 1980, à l’image d’un pays dévasté par des décennies de guerre et victime de sa place géographique. Depuis, l’analyse occidentale de l’influence des grandes puissances tend à dominer le champ de recherche sur les conflits en Afghanistan. On néglige ainsi trop souvent les dynamiques plus locales et, en particulier, l’amitié profonde et séculaire entre l’Inde et les Afghans, pourtant déterminante dans le jeu stratégique régional.
Dans son ouvrage, Avinash Paliwal, professeur au King’s College de Londres, retrace l’histoire de l’action indienne en Afghanistan depuis l’arrivée au pouvoir à Kaboul des communistes en 1978, thème principal de ses recherches. Il s’appuie pour ce faire sur des archives et de nombreux entretiens avec des responsables politiques et anciens agents du renseignement indiens, afghans, britanniques et américains. Il souligne, en particulier, la place importante prise par New Delhi dans les affaires afghanes, dont la motivation a été très souvent nourrie par le refus de laisser un gouvernement pro- pakistanais diriger le pays. Selon lui, la politique indienne a traditionnellement été marquée par deux grands groupes de décideurs : les conciliators, pour qui le dialogue doit être engagé avec n’importe quel groupe politique au pouvoir à Kaboul ; et les partisans, qui soutiennent les factions afghanes résolument antipakistanaises, en faisant tout leur possible pour les rendre puissantes. Ces deux formes de politique étrangère sont en fait, selon l’auteur, des moyens tactiques pour répondre aux différentes conjonctures en Afghanistan. Les relations ont en réalité été très inégales. L’Inde a en effet soutenu l’invasion soviétique, tout en abandonnant l’Afghanistan aux mains d’acteurs étrangers. Ce n’est qu’en appuyant l’Alliance du Nord qu’elle a su se racheter auprès des Afghans. Pourtant, ces liens entre l’Inde et la résistance reposaient avant tout sur la figure du commandant Massoud dont l’assassinat le 9 septembre 2001 les condamna définitivement. L’arrivée des États-Unis dans la région la même année, via l’envoi d’un lourd contingent militaire que New Delhi n’osait ou ne souhaitait pas fournir, remit une nouvelle fois en cause sa place dans la résolution du conflit. L’Inde se résolut donc à développer de bonnes relations avec le président afghan Hamid Karzaï pour éviter un retour en force des taliban, acteurs centraux dans les dynamiques entre l’Inde, l’Afghanistan et, en arrière-plan, le Pakistan.
Le cœur de l’ouvrage repose en effet sur l’étude de la forte opposition de l’Inde aux taliban qui semble avoir largement influencé le positionnement de New Delhi. Leur présence en Afghanistan, depuis leur prise de pouvoir en 1996 jusqu’à aujourd’hui, a toujours conforté l’Inde dans l’idée d’une interférence pakistanaise dans les affaires afghanes. On apprend, entre autres, que sous le régime taliban (1996-2001), le renseignement était fourni à l’Inde par l’Alliance du Nord, en échange d’un soutien matériel et financier officieux de New Delhi qui déclarait pourtant être non-interventionniste, à l’image de l’appui pakistanais aux taliban. À partir de 2001, New Delhi a dû s’adapter à la nouvelle donne afghane et se rapprocha prudemment d’Hamid Karzaï qui incarnait, pour l’Inde, un rempart au retour des taliban. Aujourd’hui, l’opposition ne paraît plus si ferme. Pour Avinash Paliwal, s’il est clair que les autorités indiennes n’ont jamais soutenu les taliban, le fait de ne pouvoir vaincre militairement un groupe terroriste aussi hétérogène les amène depuis quelques années à reconsidérer leur politique envers eux. L’auteur explique en effet que la dépendance des taliban envers le Pakistan semble actuellement, pour l’Inde, principalement financière et politique, et non pas idéologique. Avinash Paliwal nous offre ici une histoire avant tout régionale de l’Afghanistan contemporain. Une telle entreprise attirera les passionnés et les habitués de la maison d’Éditions Hurst, dont la réputation sur les publications concernant l’Afghanistan et les conflits n’est plus à faire. La lecture peut être parfois laborieuse, en raison de la mention de nombreuses personnalités indiennes et afghanes, parfois peu connues. Elle en vaut pourtant la peine pour les anecdotes historiques mais aussi pour mieux comprendre, au-delà de l’Afghanistan, les antagonismes entre l’Inde et le Pakistan au regard de l’actualité régionale. Le projet de gazoduc TAPI (1), reliant l’Inde et le Turkménistan via l’Afghanistan et le Pakistan a en effet été inauguré à Hérat le 23 février 2018. Salué par les taliban qui ont affirmé être enclins à le protéger, TAPI, en connectant les deux frères ennemis que sont l’Inde et le Pakistan, pourrait être une impulsion menant à la coopération régionale, après plus de cinquante ans de tensions. ♦
(1) L’acronyme TAPI fait référence aux quatre pays impliqués, le Turkménistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde.