The US vs China New Cold War?
The US vs China New Cold War?
La question de l’imminence d’un conflit entre la Chine et les États-Unis, est assez vite balayée par la thèse principale de l’ouvrage de Jude Woodward : l’argument économique prime sur les enjeux sécuritaires. Le biais de l’auteur, britannique et spécialiste de la Chine, tranche avec la littérature américaine existante (Allison, Destined for War), en proposant une lecture ambitieuse de l’ensemble des enjeux et des rivalités de puissance en Asie pacifique et continentale.
Il est clair pour Woodward, que l’Administration Trump poursuit la stratégie de containment de l’Administration Obama, en privilégiant la dissuasion et le renforcement des alliances militaires sur l’engagement économique. Malgré des différences tactiques notoires : fin du traité de libre-échange transpacifique (TPP), menaces d’une guerre commerciale et augmentation drastique des exigences vis-à-vis des alliés de la région pour accroître leurs dépenses militaires. Composée de plusieurs conseillers de poids pourtant ouvertement hostiles à la Chine (Peter Navarro, Alexander Gray), l’équipe Trump serait contrainte de se rendre à l’évidence : un conflit ouvert avec la Chine, qu’il soit militaire ou commercial, n’est évidemment pas dans l’intérêt des États-Unis. En revanche, poursuivre une forme d’endiguement par un renforcement des alliances militaires pro-occidentales s’inscrirait pleinement dans un jeu de puissance (power politics) de guerre froide, encouragé par le premier cercle du président Trump. Or, l’auteur prévient bien que toute analogie avec la période de guerre froide doit être nuancée, compte tenu de la différence de contexte international. Se lancer dans une guerre commerciale ou tenter d’isoler la Chine économiquement est une position peu réaliste, et toute comparaison avec les stratégies économiques d’endiguement de l’URSS est contrecarrée par la place qu’elle occupe déjà dans la gouvernance économique mondiale. Divisé en cinq grandes parties, l’ouvrage aborde d’emblée la question de la guerre inévitable entre les deux géants, en réfutant les thèses occidentales selon lesquelles la Chine serait sur le point de s’effondrer. Les quatre autres parties tentent de mettre en perspective les enjeux géo- politiques, présents et à venir, aux différentes frontières de la Chine. Chacune d’elle illustre, par des études de cas, les difficultés américaines d’encerclement de la puissance chinoise. Le premier cas concerne la relation triangulaire Russie/États-Unis/Chine et la difficulté d’inverser le paradigme de guerre froide (en jouant la carte de l’alliance avec la Russie contre la Chine), dans un contexte de multiplications des rapprochements commerciaux ou diplomatiques sino-russes (nouvelles routes de la soie notamment). La troisième partie analyse les risques de conflits dans la zone Pacifique (nationalisme japonais, rivalités avec Taïwan, regain de tension entre les deux Corées), sans qu’aucun des scénarios ne parvienne à un conflit ouvert avec la Chine ; le maintien des relations commerciales primerait sur les enjeux territoriaux. Enfin, le dernier volet, non des moindres, aborde les rivalités frontalières (Tibet, Népal, Bhoutan) et les réticences indiennes à coopérer avec l’une ou l’autre des deux puissances rivales.
L’auteur conclut à l’échec de la diplomatie américaine à convaincre l’ensemble des acteurs régionaux de l’imminence de la menace chinoise, et aux errements de la stratégie de Washington, qui privilégierait une course aux armements de type guerre froide en attisant les rivalités régionales. Pour l’ensemble des acteurs de la région, y compris les plus hostiles à la Chine, l’atout commercial chinois l’emporterait sur la démonstration de force américaine – dilemme dit « du beurre ou des canons » (butter or guns). En somme, ce panorama des forces et des faiblesses des outils de la puissance américaine en Asie a le mérite de remettre en perspective un certain nombre de relations bi ou trilatérales particulièrement stratégiques (Russie, Japon, Inde). Surtout en s’intéressant à l’ensemble des zones frontalières chinoises, Woodward renverse la perspective américaine d’une nécessaire présence hégémonique en Asie-Pacifique, à l’heure où l’ambition chinoise se développe aussi et surtout en Asie centrale. Néanmoins, on peut regretter que dans cette analyse de compétition des puissances, les jeux d’alliance économiques avec l’UE, ou militaires avec l’Australie (au centre du « pivot » de la stratégie d’Obama) et les autres alliés occidentaux ne soient pas envisagés comme des contrepoints possibles. ♦