Cinquante nuances de guerre. Et si la France était le meilleur rempart contre la barbarie et la tyrannie ?
Cinquante nuances de guerre. Et si la France était le meilleur rempart contre la barbarie et la tyrannie ?
Il n’est plus nécessaire de présenter Pierre Servent aux lecteurs de la Revue Défense Nationale. Son parcours professionnel et ses écrits font du journaliste, officier de réserve au Commandement des opérations spéciales (COS), un fin connaisseur non seulement de notre outil militaire mais aussi de la scène géostratégique internationale. D’où l’intérêt de son nouvel ouvrage, complétant ses précédentes publications autour du « phénomène guerre » et de son actualité dans un monde de plus en plus complexe et fragile, où les conflits semblent organiser ou plutôt désorganiser de grandes zones régionales de notre planète.
D’emblée, pour Pierre Servent, le bilan est amer et pessimiste avec deux dominantes qui s’imposent peu à peu : la barbarie et la tyrannie. Et pour éventuellement contrer ces deux tendances lourdes, un rôle possible pour la France, surtout si elle parvient à y faire adhérer l’Europe. Vœu pieux ou raisonnable ? Tel sera d’ailleurs l’enjeu de la prochaine campagne pour les élections européennes de 2019. Le monde actuel est désormais vacillant avec le retour du rapport de force et le déclin de la négociation au profit de la recherche de la primauté. Cette attitude se retrouve tout particulièrement dans la diplomatie trumpienne peu favorable – c’est un euphémisme – à la recherche du compromis. En découdre deviendrait dès lors le mode de régulation des relations internationales et les exemples cités par l’auteur le démontrent aisément. Il faut souligner ici le chapitre « éradiquer le pluriel » qui, notamment à partir de l’exemple de la Catalogne, souligne le danger croissant à la fois du repli identitaire et de la « fabrique » d’une histoire réécrite et idéologisée. La revendication indépendantiste des Catalans est l’expression d’un refus du vouloir vivre ensemble et un appel non dissimulé à l’éclatement non seulement de l’Espagne mais d’autres États de l’Europe. À cela, il faut y rajouter les populismes, comme en Pologne et en Hongrie, remettant en cause les acquis démocratiques pourtant durement obtenus à la suite de l’effondrement de l’URSS. Le problème est que la Mémoire des drames au XXe siècle s’efface progressivement aux dépens de la réalité historique pour être désormais asservie à un projet idéologique.
Mais ces périls sont, selon l’auteur, bien moindres, par rapport à ceux engendrés par l’Islam salafiste dont la volonté de conquête est réelle et s’inscrit dans la durée et sans ambiguïté. Le combat est total, hybride et en mutation permanente avec aucun compromis possible.
À ces guerres pour ou par la religion doivent se rajouter les ambitions d’Empire, en particulier pour la Chine. Celle-ci n’est pas qu’un immense marché, n’en déplaise aux « comptables » du business. Pékin a une ambition millénariste et s’en donne les moyens économiques, humains mais aussi militaires et ses projets dont les nouvelles Routes de la Soie qui ne sont pas totalement philanthropiques mais obéissent à une volonté impérialiste indéniable.
Ces extrémismes, ces replis identitaires, ces conquêtes pas uniquement virtuelles remettent en cause notre modèle de civilisation basé sur la démocratie, l’économie du marché et la confiance comme on le croyait depuis la chute du Mur. Ce modèle a été incarné par l’Union européenne mais est désormais remis en cause, comme le démontre le Brexit et les votes populistes. Il est cependant « l’un des rares antidotes possibles » face au chaos, mais il nécessite d’une part que la France retrouve son rang et son dynamisme et d’autre part que ses partenaires le soient réellement. Cela signifie aussi un réarmement concret et la volonté de ne pas être qu’un « soft power » généreux mais au final marginalisé à la table des grandes puissances prédatrices. On peut ici s’interroger sur certaines propositions de Pierre Servent comme par exemple le recours au modèle du COS comme outil méthodologique. Certes, l’esprit « start-up » est nécessaire mais il n’est pas suffisant et c’est bien l’éventail du spectre qui crée la compétence et pas uniquement une capacité, aussi efficace soit-elle.
Il n’en demeure pas moins que la lecture de cet ouvrage est roborative et vient en quelque sorte conforter le tournant pris depuis 2015 – et totalement affirmé depuis le printemps 2017 avec la Revue stratégique et la LPM 2019-2025 – dont la mise en œuvre va débuter cet automne avec la loi de finance initiale (LFI) 2019.
Le monde est en effet plus chaotique et dangereux. Il est donc nécessaire de pouvoir y faire face, non pas pour satisfaire une ambition hégémonique mais déjà pour préserver nos valeurs chèrement acquises au cours du XXe siècle. C’est la condition pour nous défendre face aux assauts de la barbarie et de la tyrannie. ♦